Développement Durable en Afrique : mettons en avant les initiatives locales !

by Sena John AHYEE

Développement Durable en Afrique : mettons en avant les initiatives locales !

by Sena John AHYEE

by Sena John AHYEE

Le 16 Avril 2015, Khaled Igue dans une analyse intitulée « Réchauffement climatique, l’Afrique face à un de ses plus grands défis » soulignait à juste titre les enjeux relatifs au réchauffement climatique en Afrique. L’une des pistes fortes pour répondre à ces défis est selon lui l’émergence d’un consensus mondial pour limiter les rejets de gaz à effets de serre. Tel est le grand objectif de la conférence climatique COP21 qui aura lieu Paris du 30 Novembre au 11 Décembre 2015. Si la nécessité d’un accord mondial sur cette question semble nécessaire, il ne s’agit certainement pas d’une condition suffisante pour répondre aux enjeux du réchauffement climatique et du développement durable en Afrique. En effet, la question du réchauffement climatique fait partie d’un ensemble plus large de problématiques traitées dans le cadre du « développement durable ». Et si certaines analyses scientifiques (Doyle 1998[i] ; Banerjee 2003[ii]) nous ont appris une chose, c’est que la complexité du « développement durable » n’autorise pas l’émergence de solutions globales et universelles.

Dans la présente contribution, nous essaierons dans un premier temps d’illustrer l’impossibilité d’une solution globale au réchauffement climatique et au développement durable. Dans un deuxième temps nous suggérons la nécessité de mettre en avant les success stories locales, qui permettront de répondre de manière plus efficace à ces enjeux.

  • Développement durable : l’impossibilité d’une solution globale ou mondiale

En 1987, dans le rapport « Notre avenir à tous », la Commission mondiale sur l’environnement et le développement, dite « commission Brundtland », consacre l’expression « sustainable development » (développement durable) en la définissant comme un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Des chercheurs américains (Gladwin et al. 1995)[iii] montrent qu’au-delà de la définition de la commission Brundtland, de nombreuses autres ont été proposées par la littérature. Ces définitions associent le développement durable à la maximisation simultanée des objectifs écologiques, économiques et sociétaux ; à l’amélioration de la qualité de vie par la préservation des écosystèmes ; à la réalisation des activités humaines en tenant compte des contraintes environnementales ; à la préservation des équilibres physiques et sociétaux ; au respect et à l’utilisation prudente de toutes les ressources (humaines, naturelles, sociales, culturelles, scientifiques…). Via cette notion on aborde des questions aussi diverses que le réchauffement climatique, la traite des êtres humains, la corruption, la croissance économique, la préservation des écosystèmes, le bien-être des salariés… S’agissant déjà de problèmes difficiles à traiter de manière individuelle, il s’avère encore plus complexe de les traiter simultanément.

Dans cette quête du développement durable, l’un des objectifs des grandes messes organisées depuis le début des années 1990 sous l’égide des nations unies (conférences climatiques) est d’aboutir à un consensus sur les plans écologiques, économiques et sociétaux. En admettant qu’on parvienne à de tels consensus, les sciences sociales mettent en évidence deux éléments au regard desquels on peut douter de l’efficacité de ces solutions globales : leur nature politique et les stratégies d’acteurs.

Chercheur à l’Université de Werstern Sydney, Bobby Banerjee (2012)[iv] montre, dans son analyse de la conférence climatique de Durban, la nature fondamentalement politique de ces négociations sur le développement durable et le réchauffement climatique. Les différents pays viennent avec leurs préoccupations propres, et adoptent généralement une posture visant à minimiser l’impact des décisions sur leurs croissances économiques. On aboutit donc, en cas de consensus, à des solutions a minima, résultats de compromis entre postures opposées. Ces solutions politiques aux enjeux du développement durable ne contribuent que de manière marginale à la résolution des problèmes posés. Cela est dû principalement au fait qu’elles ne tiennent pas suffisamment compte de la situation et des contraintes de chaque pays. D’autre part, ces solutions sont issues d’un processus politique qui a pris le soin d’éliminer les solutions les plus contraignantes et potentiellement les plus efficaces.

Les stratégies d’acteurs constituent le deuxième point faible des solutions globales. En effet, une fois que le consensus est dégagé, rien ne garantit qu’il sera effectivement mis en œuvre par les pays signataires. Crozier et Friedberg[v] ont bien montré que dans un système bureaucratique, les comportements des acteurs peuvent limiter les effets de politiques auxquelles ils n’adhèrent pas. Tel est le processus observable au niveau des nations concernant la mise en œuvre de conventions internationales (conventions sur le travail des enfants par exemple). On peut penser à juste titre que des solutions globales peu conformes aux attentes des populations locales seront limitées par les comportements des acteurs locaux.

En définitive, deux caractéristiques limitent fortement l’efficacité des solutions globales pour le développement durable : l’inadaptation aux enjeux locaux et la résistance des acteurs locaux. Pour pallier à ces limites, il faut mettre en avant et répliquer si possible les initiatives locales pour le développement durable qui connaissent le succès.

  • Développement durable : les solutions seront locales avant tout

L’intérêt des initiatives locales en faveur du développement durable, c’est qu’elles pallient très précisément aux limites des solutions globales.

En effet, étant portées par des acteurs locaux et ayant intégré les enjeux du développement durable, ces solutions ont le double avantage de proposer un équilibre pertinent entre la résolution des problèmes locaux et l’atteinte des objectifs du développement durable. Par ailleurs, comme elles sont suscitées et défendues par les acteurs locaux, ces initiatives locales limitent donc les possibilités de stratégies d’acteurs, de comportements opportunistes négatifs.

L’intérêt de mettre en avant les initiatives locales a été particulièrement perçu par l’Etat français, et deux actions récentes en témoignent.

La première c’est le lancement à la fin de l’année 2013 du « Forum Afrique- 100 initiatives pour un développement durable ». Dans ce cadre, on peut lire ceci sur le site du ministère des affaires étrangères : « Parce qu’une des clés du développement durable réside dans l’innovation, le Ministère des affaires étrangères, sous l’impulsion du Ministre délégué chargé du Développement, Pascal Canfin, a lancé l’initiative : Forum Afrique – 100 innovations pour un développement durable, en partenariat avec l’Agence française de Développement (AFD) »[vi]. Cette initiative très louable avait pour but de donner de la visibilité et d’encourager 100 actions contribuant au développement durable sur le continent africain.

La deuxième action, c’est le lancement en Juillet 2013 de la plateforme WIKLIMAT, qui « permet à chacun de se documenter sur les initiatives françaises en matière d’adaptation au changement climatique et à chaque acteur de partager avec le plus grand nombre son expérience et ses réalisations »[vii]. Cette plateforme réalisée sous l’égide du ministère français du développement durable contribue à la reconnaissance des initiatives locales efficaces et à leur diffusion.

Ces deux actions nous montrent le chemin à suivre pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique et atteindre les objectifs du développement durable en Afrique. Pour ce faire, à la suite du Forum Afrique, il faut penser à donner une visibilité soutenue aux initiatives locales en faveur du développement durable en Afrique. Les modalités sont nombreuses et attendent d’être explorées : site internet, blog, conférence périodique, newsletter… Dans la même dynamique, comme la plate-forme WIKLIMAT, nous devons penser à la mise en place d’une plate-forme en ligne où les acteurs locaux pourront présenter et susciter des vocations autour de leurs initiatives.

Au-delà des grandes messes climatiques internationales, tel est donc le vrai défi pour répondre aux enjeux climatiques, économiques et sociétaux : donner de la visibilité et favoriser la diffusion des initiatives locales pertinentes.

[i] Sustainable development and Agenda 21: the secular bible of global free markets and pluralist democracy, Third World Quarterly, Vol 19, No 4, pp 771-786, 1998

[ii] Who Sustains Whose Development? Sustainable Development and the Reinvention of Nature, Organization

Studies 24(1): 143–180, 2003

[iii] Shifting paradigms for Sustainable Development: implications for Management theory and research, Academy of Management Review, 1995. Vol. 20, No. 4, 074-907.

[iv] A Climate for Change? Critical Reflections on the Durban United Nations Climate Change Conference, Organization Studies 33(12) 1761–1786 2012

[v] L’acteur et le système, Editions du seuil, 1977

[vi] http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/aide-au-developpement/evenements-et-actualites-sur-le-theme-du-developpement/forum-afrique-100-innovations-pour/actualites-du-forum-afrique/article/la-france-soutient-les-innovations

[vii] http://wiklimat.developpement-durable.gouv.fr/index.php/Portail:Wiklimat

Docteur en Sciences de Gestion de l’Université de Montpellier, Sèna JOHN AHYEE est l’auteur d’une thèse sur l’influence des stratégies de développement durable sur la fonction de contrôleur de gestion dans les organisations françaises. Il a réalisé des communications scientifiques en France et au Canada sur les questions du développement durable et de la responsabilité sociétale des organisations. Il est par ailleurs formateur et consultant en gestion.

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