Guillaume de Rubercy : Droit et politique de l’énergie en Afrique, l’exemple de l’Afrique de l’Ouest

Guillaume de Rubercy : Droit et politique de l’énergie en Afrique, l’exemple de l’Afrique de l’Ouest

by Guillaume De Rubercy

L’accès à l’énergie est une composante essentielle du développement économique, politique et social d’un continent. Or, malgré un fort potentiel en énergies fossiles et renouvelables[1], le continent africain présente des déficits énergétiques importants liés notamment à la sous-exploitation de ses ressources, à leur exportation sous forme brute voire à leur gaspillage lors de l’extraction ou du transport. En l’absence d’une offre satisfaisante, l’accès à l’énergie est réduit et la consommation domestique faible[2]. Autrement dit, l’Afrique, ce géant énergétique par ses ressources, est un géant aux pieds d’argile quant aux capacités réelles sur lesquelles il peut s’appuyer pour soutenir son développement.

Face à ce constat alarmant, les Etats africains ont entrepris, notamment depuis la dernière décennie, de réformer l’organisation et la réglementation du secteur de l’énergie pour valoriser leur potentiel énergétique[3].

Dans ce contexte, l’encadrement juridique et institutionnel du secteur de l’énergie a été modernisé à l’échelle nationale  et a émergé à l’échelle régionale. L’analyse se concentrera sur le cas de l’Afrique de l’Ouest.

I.La modernisation nationale de l’encadrement juridique et institutionnel du secteur de l’énergie

Malgré la diversité des systèmes nationaux, il existe un processus – commun à tous les Etats d’Afrique de l’Ouest – de modernisation du cadre juridique et institutionnel du secteur de l’énergie. Outre la construction d’un véritable droit de l’énergie , le cadre institutionnel a été renforcé jusqu’à ce que soient posées les bases d’une régulation dudit secteur .

A.La construction d’un droit de l’énergie

Depuis le début des années 2000, dans un souci de rationalisation, les Etats d’Afrique de l’Ouest se sont engagés dans un processus de codification des sources du droit de l’énergie. Ont ainsi été adoptés des codes sectoriels tels que les codes miniers[4], les codes pétroliers[5], les lois particulières portant régime des hydrocarbures[6], les codes gaziers[7] ou lois particulières régissant la commercialisation et la distribution du gaz ou encore les codes de l’électricité[8].

Parallèlement à cette harmonisation formelle du droit de l’énergie, on constate une harmonisation substantielle avec convergence du contenu des législations nationales. Plusieurs principes directeurs ont  été consacrés dans la plupart des corpus juridiques nationaux. A titre d’illustration, des principes ont été posés pour encadrer la participation du secteur privé à l’optimisation du secteur énergétique national. En est-il ainsi du principe de souveraineté des Etats sur leurs ressources naturelles, lequel n’exclut  pas le recours à la technologie, l’expertise et au financement des opérateurs internationaux  via les contrats de concession[9], partage de production[10] ou le partenariat public-privé[11].  Les acteurs privés se voient en outre imposer des obligations de service public[12] ou encore de travailler en partenariat avec les acteurs locaux afin de leur transmettre expérience et savoir-faire (principe de la préférence nationale ou du local content)[13]. Toutefois, pour équilibrer la relation avec les investisseurs et ne pas les faire fuir, les nouvelles législations nationales tendent aussi à mieux protéger leurs intérêts, via notamment les garanties de stabilisation juridique, fiscale et douanière[14].

Les Etats d’Afrique de l’Ouest se sont donc engagés dans un processus d’élaboration d’une législation énergétique moderne tant sur la forme que sur le fond. Parallèlement à la construction de ce droit, le cadre institutionnel s’est renforcé pour améliorer le contrôle du secteur .

B.Le renforcement du cadre institutionnel du secteur de l’énergie

Diverses institutions sont en charge du secteur de l’énergie. Dans la plupart des Etats, la planification et la mise en œuvre des politiques publiques énergétiques relèvent généralement de la compétence directe du ministre de l’énergie[15].

Concernant la régulation dudit secteur, la situation est plus disparate. Alors que la régulation du sous‑secteur de l’électricité est souvent confiée à une autorité administrative, en théorie autonome et dont l’appellation varie selon les Etats (Commission de l’énergie[16], Autorité de régulation[17], Autorité de réglementation[18]), la charge de la régulation des sous-secteurs gazier et pétrolier relève généralement de la compétence directe du ministre de l’énergie[19].

Sur le plan juridique, on observe une tendance des Etats à doter ces régulateurs d’une compétence quasi-juridictionnelle. Ils peuvent en effet être amenés à régler les litiges entre opérateurs[20], entre opérateurs et consommateurs, voire même à jouer le rôle d’instance d’arbitrage et de médiation[21].

Une réserve est également à émettre dans la présentation de ce paysage à l’égard de l’état embryonnaire de certains régulateurs, qui ne sont pas toujours opérationnels[22] ou manquent d’autonomie vis-à-vis du pouvoir politique[23].

Malgré tout, on sent de la part des Etats une réelle volonté de renforcer le cadre institutionnel du secteur de l’énergie et une dynamique positive est enclenchée. Si l’essai a été marqué, il doit désormais être transformé.

Parallèlement à ces tendances nationales, l’intégration régionale offre de nouvelles perspectives pour appréhender le droit et la politique de l’énergie.

II.L’émergence d’un encadrement juridique et institutionnel du secteur de l’énergie à l’échelle régionale

Le processus d’intégration régionale visant le décloisonnement et l’intégration progressive des marchés nationaux permet une coordination et une harmonisation des droits et politiques nationaux de l’énergie , voire l’émergence d’un droit et d’une politique communautaires de l’énergie .

A.Une coordination et une harmonisation des droits et politiques nationaux de l’énergie

Pour appréhender efficacement les enjeux énergétiques, les Etats ont compris  l’impérieuse nécessité de coopérer et d’apporter une réponse supranationale. Certains se sont donc entendus pour développer des projets communs[24]. Parallèlement à ces démarches bilatérales, des institutions ont été créées tant à l’échelle continentale[25] que régionale. Concernant l’Afrique de l’Ouest, l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA)[26] et la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)[27] offrent le cadre et la matière nécessaires à la coopération des Etats autour de projets communs , à l’harmonisation des normes  et aux pratiques nationales en matière d’énergie . Pour illustrer chacun de ces points :

(i)a été élaborée au sein de l’UEMOA une Politique Energétique Commune[28] visant, entre autres, la gestion optimale des ressources et développant, pour ce faire, l’interconnexion des réseaux nationaux, la réalisation d’ouvrages communs ou encore la mise en place d’une base de données régionale pour créer un système de projection de l’offre et de la demande d’énergie.

(ii) la directive n°06/2001/CM/UEMOA du 26 novembre 2001 a procédé à l’harmonisation de la taxation des produits pétroliers des Etats membres de l’UEMOA.

(iii) a été créé un Comité régional des régulateurs du secteur de l’énergie des Etats membres de l’UEMOA[29], qui assiste la Commission de l’Union dans l’élaboration et l’application des textes communautaires et développe la coopération entre les autorités de régulation nationales. Cette régulation régionale naissante permet l’harmonisation des politiques, législations et pratiques nationales, préalable nécessaire à la construction d’un droit et d’une politique communautaires de l’énergie.

B.Vers un droit et une politique communautaires de l’énergie

La coordination et l’harmonisation des normes et pratiques nationales, l’interconnexion croissante des réseaux, le développement de projets communs[30] se font dans la perspective d’une gestion communautaire intégrée de l’énergie et permettront, à terme, de créer un marché commun de l’énergie ou, plus vraisemblablement, des marchés sectoriels communs. La dynamique de construction de droits et politiques sectoriels communautaires est donc enclenchée et d’ores-et-déjà manifeste dans certains domaines (les prémices d’un droit minier communautaire sont perceptibles, l’UEMOA ayant élaboré un code minier communautaire[31]).

C’est néanmoins le secteur de l’électricité qui offre aujourd’hui le cadre le plus propice à l’organisation d’un marché régional. Un Protocole sur l’énergie de la CEDEAO a été adopté en 2003[32] pour établir le cadre juridique destiné à promouvoir une coopération durable dans le domaine de l’énergie au sein de la CEDEAO, en vue d’augmenter l’investissement et développer le commerce de l’énergie dans la région. Sur la base de ce Protocole et dans le cadre du Système d’Echanges d’Energie Electrique Ouest Africain (EEEOA)[33], a été créée en 2008 l’Autorité de Régulation Régionale du secteur de l’Electricité de la CEDEAO (ARREC)[34] chargée d’assurer la régulation des échanges transfrontaliers d’électricité. Cette dernière participe activement à l’instauration d’un cadre juridique et institutionnel propice au développement d’un marché de l’électricité ouest africain (elle projette notamment de mettre en place un code de réseau régional[35]). Enfin, confortant ce processus d’intégration, la CEDEAO a adopté en 2013 une directive[36] définissant les principes généraux d’un marché régional de l’électricité.

En définitive, pour valoriser leur potentiel énergétique et assurer leur développement économique, les Etats ont compris la nécessité de doter le secteur de l’énergie d’un cadre juridique et institutionnel solide aussi bien à l’échelle nationale que régionale. La volonté est avérée et le droit de l’énergie est en construction active. Sur le plan politique, une politique efficace nécessite, au-delà d’un droit de l’énergie et de décisions industrielles, de mettre en œuvre une cohérence financière. Autrement dit, comment finance-t-on une politique énergétique ? La question se pose aujourd’hui pour l’Afrique et une réponse concrète doit y être apportée.

Guillaume de Rubercy

Docteur en Droit, Avocat au Barreau de Paris, Associé du cabinet Ravetto Associés

 

 


[1]Le continent africain produit 12,4% du pétrole, 7% du gaz, 4,3% du charbon de la planète et dispose d’un fort potentiel en énergies renouvelables, avec toutefois une grande hétérogénéité selon les pays (données extraites de l’étude de l’Agence Française de Développement (AFD) et de la Banque Africaine de Développement (BAD), « L’énergie en Afrique à l’horizon 2050 », 2009).

[2] L’Afrique ne représente que 3,4% du pétrole, 3,1% du gaz et 0,5% du charbon consommés mondialement (même source).

[3] Principes directeurs inclus dans la Convention de la Commission Africaine de l’Energie signée à Lusaka le 11 juillet 2001.

[4] Ex : loi n°2006-17 portant code minier et fiscalité minière en République du Bénin.

[5] Ex : loi n°2006-18 du 17 octobre 2006 portant code pétrolier en République du Bénin.

[6] Ex : loi n°99-003 portant code des hydrocarbures de la République Togolaise.

[7]Ex : loi n°2002/013 du 30 décembre 2002 portant code gazier au Cameroun.

[8]Ex : loi n°2014-132 du 24 mars 2014 portant code de l’électricité en Côte d’Ivoire ; loi n°2000-012 relative au secteur de l’électricité au Togo ; loi n°2006-16 du 27 mars 2007 portant code de l’électricité en République du Bénin.

[9] Ex : article 5 de la loi n°2000-012 relative au secteur de l’électricité au Togo.

[10] Ex : ordonnance n°2012-369 modifiant la loi n°96-669 du 29 août 1996 portant code pétrolier en Côte d’Ivoire.

[11] Ex : le secteur de l’électricité de Côte d’Ivoire a été privatisé en 1990.

[12]Cf. article 3 de la loi n°2006-16 du 27 mars 2007 portant code de l’électricité en République du Bénin pour un exemple de définition de l’obligation de service public.

[13] Ex : Nigerian Oil and Gas Industry Content Development Act du 22 avril 2010 ou l’article 66 du code gazier camerounais. Les textes des autres Etats peuvent imposer l’obligation de transparence et de gestion des richesses en ressources naturelles au profit des citoyens, la prise en compte des intérêts des générations futures et de l’environnement, autant de principes qui constituent les prémices du local content.

[14] Ex : article 12 du code pétrolier camerounais.

[15] Ex : article 6 de la loi n°2000-012 relative au secteur de l’électricité au Togo.

[16] Ex : Commission de l’Energie du Nigéria.

[17] Ex : l’Autorité Nationale de Régulation du secteur de l’Electricité de Côte d’Ivoire.

[18]Ex : l’Autorité de Réglementation du secteur de l’électricité au Togo : art. 9 et suivants de la loi n°2000-012 relative au secteur de l’électricité.

[19] Ex : article 7 du code gazier camerounais.

[20] Ex : article 8 du code gazier camerounais – compétence du ministre en charge du pétrole et du gaz.

[21] Ex : article 14 de la loi n°2000-012 relative au secteur de l’électricité au Togo – compétence de l’Autorité de réglementation.

[22] Au Bénin, le processus de mise en place de l’Autorité de régulation de l’électricité est en cours de finalisation depuis 2007.

[23] P.17 du document de l’ARREC « Régulation régionale du secteur de l’électricité ouest-africain ; Phase II programme d’activités 2009-2013 ».

[24] Ex : en raison de leurs frontières et intérêts communs en matière d’électricité, le Bénin et le Togo ont adopté en plus de leurs législations nationales une législation commune relative au transport, à la distribution, à l’importation et à l’exportation de l’énergie électrique : ils ont conclu en 1968 un accord instituant un code de l’électricité commun, lequel a été révisé en 2003. L’article 7 prévoit qu’en cas de litige relatif à son interprétation ou à son application, les parties auront recours à un règlement à l’amiable et en cas d’échec, à la procédure arbitrale devant la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage de l’OHADA.

[25] Créée le 11 juillet 2001 à l’occasion du 37ème Sommet des Chefs d’Etats et de Gouvernement de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) à Lusaka, la Commission Africaine de l’Energie (AFREC) est une structure continentale chargée d’assurer, de coordonner et d’harmoniser la protection, la conservation, le développement, l’exploitation rationnelle, la commercialisation et l’intégration des ressources énergétiques sur le continent africain.

[26] Créée à Dakar le 10 janvier 1994. Cf. article 4 du Traité révisé : l’UEMOA vise à « instituer une coordination des politiques sectorielles nationales, par la mise en œuvre d’actions communes et éventuellement de politiques communes notamment dans les domaines suivants : […] énergie, industrie et mines ».

[27] Instituée par un Traité du 28 mai 1975, révisé le 24 juillet 1993. Cf. article 28 du traité révisé : « Les Etats Membres conviennent de coordonner et d’harmoniser leurs politiques et programmes dans les domaines de l’énergie […] ».

[28] Acte additionnel n°04/2001 du 19 décembre 2001.

[29] Décision n°02/2009/CM/UEMOA du 27 mars 2009.

[30] Exemple de projet d’interconnexion des pays : le projet de Gazoduc de l’Afrique de l’Ouest (GAO), lancé sous l’égide de la CEDEAO, qui vise à assurer le transport du gaz naturel du Nigeria vers les clients du Benin, du Togo et du Ghana.

[31] Règlement n°18/2003/CM/UEMOA du 23 décembre 2003.

[32] Protocole AlP4/1/03.

[33] Décision AlDEC.5/12/99 – Institution  spécialisée de la CEDEAO créée dans l’objectif de promouvoir et fournir de l’énergie électrique dans la région. Elle vise à faire face au déficit d’électricité et à l’inégalité dans la distribution de l’énergie dans la région, par la réalisation d’interconnexions électriques et le développement d’échanges d’électricité entre les Etats membres.

[34] Acte additionnel A/SA.2/1/08 ; Règlement C/REG.27/12/07.

[35] Cf. p. 13 du rapport d’activités de l’ARREC 2012-2013 paru en juin 2014 et p.31 du document « Régulation régionale du secteur de l’électricité ouest-africain ; Phase II programme d’activités 2009-2013 ».

[36] Directive C/DIR/1/06/13 sur l’organisation du marché régional de l’électricité : « CONVAINCU que la régulation régionale et le libre accès au réseau régional de transport d’électricité sont nécessaires pour le fonctionnement efficace, le suivi et le contrôle des échanges transfrontaliers d’électricité et constituent une condition sine qua non pour le développement du marché régional de l’électricité; […] DESIREUX de promouvoir à terme une approche régionale d’échanges transfrontaliers d’électricité, et de veiller à l’harmonisation des institutions et des règles au sein de la CEDEAO, en vue d’organiser le marché régional de l’électricité et de créer les conditions favorables au développement des investissements et des capacités dans les Etats membres ».

Références :

–        Documents institutionnels :

CEDEAO/AFD/ARREC – Régulation Régionale du Secteur de l’Electricité Ouest Africain – Programme d’activités et Budget Pluriannuel Phase 2 : 2009-2013.

L’étude de l’Agence Française de Développement (AFD) et de la Banque Africaine de Développement (BAD), « L’énergie en Afrique à l’horizon 2050 », 2009.

–        Doctrine :

Joseph KAMGA et Atinoukê AMADOU, « Droit et politiques de l’énergie en Afrique subsaharienne : les tendances d’harmonisation », Revue des Juristes de Sciences Po, automne 2013,  n°8.

Altide CANTON-FOURRAT et Monesty Junior FANFIL, « Les sources du droit de l’énergie en Afrique et le droit international », RDAI/IBLJ, n°4, 2010.

–        Webographie :

Sites de la CEDEAO : http://www.ecowas.int/

Site de l’UEMOA : http://www.uemoa.int/Pages/Home.aspx

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