Germain-Hervé Mbia Yebega : Limitation des mandats présidentiels, un problème en Afrique

by Germain-Hervé Mbia Yebega

Germain-Hervé Mbia Yebega : Limitation des mandats présidentiels, un problème en Afrique

by Germain-Hervé Mbia Yebega

by Germain-Hervé Mbia Yebega

La question de la limitation du mandat présidentiel revient toujours lorsque les médias interrogent les chefs d’Etat africains. Les réponses des interviewés restent énigmatiques, pleines de complexité et méritent quelques observations.

La première remarque qui s’impose, c’est la récurrence des réformes constitutionnelles au gré des projections des chefs d’Etat, qui pose la question du sens général de la règle de droit et partant celle de l’épaisseur des transactions sociales et politiques à l’oeuvre.Cette situation révèle ensuite certaines préoccupations de bonne conscience, de ceux qui ont prétention à formuler et ériger les contours de l’architecture démocratique en Afrique. Les grilles d’analyse et d’évaluation de la bonne tenue démocratique nous sont ainsi quotidiennement délivrées. Ces standards internationaux vont du cadrage de l’organisation d’une élection du moindre mal, aux processus alambiqués de sortie de crise inspirés, soutenus et portés par une partie de la communauté internationale. Ils sont au nombre des effets pervers du réalisme à court terme ambiant, de la lassitude même des partenaires étrangers et de leur incapacité à produire pour les Africains ce qui est le mieux à même d’accompagner leur développement.

Le mal de droit en Afrique

Le paradoxe continue de prévaloir entre le formalisme juridique outrancier, de mise depuis les indépendances, et le rocambolesque de l’humanisation des textes référentiels de droit, notamment dans l’organisation et le fonctionnement des institutions d’État. D’une manière générale, le droit s’ignore autant qu’il est ignoré, les dominants n’y ayant généralement qu’un recours d’emprunt, pour conférer à quelque imposture d’attitude le vernis de légitimation – illusoire – dont elle a besoin.

Dans ces textes constitutionnels d’importation très à la mode pendant les décennies postindépendances, il était courant de trouver des dispositions volontairement discriminatoires comme l’exclusion d’éventuels candidats à l’élection présidentielle. La clause de non-résidence continue dans le territoire national un certain nombre d’années durant constituait un motif d’empêchement de candidature, alors même que les personnes concernées avaient été poussées à l’exil par les régimes politiques de leur pays d’origine.

Les motifs de justification des prolongations d’exercice du pouvoir se sont accentués de nos jours, depuis la vague de pluralisme inspirée
par le sommet de La Baule. La liste serait longue, de tous les chefs d’État qui ont, à un moment ou un autre, cherché à commettre ou commis une forfaiture de réforme constitutionnelle opportuniste. Le cas le moins compréhensible étant ces dernières années, la lecture à géométrie variable du texte constitutionnel effectuée par Abdoulaye Wade. Avant les présidentielles de 2012, le président sénégalais d’alors fera même organiser à Dakar un colloque dont le but était tout simplement de rappeler quelque évidence de culture juridique de base : la nonrétroactivité d’une règle de droit. Tenu de se tailler une camisole sur mesure, en vue de normaliser sa polémique candidature au scrutin, il fera intervenir à ce raout et aux frais du contribuable sénégalais un nombre considérable de caciques du droit français, dont l’honneur n’aura pas été sauf de prendre part à pareille et grotesque théâtralisation.

L’appréciation de cette constance de la jonglerie constitutionnelle peut s’appréhender également du point de vue d’une anthropologie du droit, qui ne s’inscrirait pas a priori dans une lecture culturaliste et essentialiste des dynamiques du jeu institutionnel. Il est ainsi fort délicat d’attendre d’apparatchiks ayant manifesté plusieurs jours d’affilée à Yaoundé contre le multipartisme dans les années 1990 qu’ils réalisent quelque extraordinaire mutation d’identité, de projets et d’intérêts en quelques semaines. Héritiers et adeptes d’une domestication spécifique – volontiers sibylline – des règles de droit, ils inscrivent leurs actions dans l’imprévisibilité même qui a présidé à l’instauration du multipartisme. La question du droit pour ces dirigeants ne peut être le résultat d’un consensus, même imaginaire. Elle est pour l’essentiel triomphe d’une forme de violence qui dénie toute généalogie à la négociation sociale à ce deal permanent qui est le socle du pacte social et républicain.

Plus personne ne croit au demeurant aux vertus de la règle, qui a cessé de faire rêver. Tout l’art de son maniement consistant alors au contournement, à la virile survie dans cet espace du vide qui consacre la débrouille, et la capacité de vaincre sans avoir raison. Ce glissement sur lequel il ne sera pas possible de nous étendre ici, installe le citoyen ordinaire dans l’incertitude des lendemains qui déchantent. Dans ces sociétés anciennement dépositaires d’importants mythes fondateurs, le dépérissement lent et inexorable de ce qui rassemble et fait sens génère les nombreuses crises politiques dont nous avons continuellement connaissance. Il oblige à repenser les paradigmes qui sous-tendent les projets sociopolitiques transactionnels en cours en Afrique.

Réinventer le vivre ensemble

Dans la complexité des situations de crise sociale et politique auxquelles les États font face, il faut bien partir de quelque chose. C’est à ce titre qu’il faudrait considérer les processus de standardisation électorale dont il a été fait cas précédemment. S’il est peu d’États dans lesquels ces processus électoraux se sont déroulés de la manière la moins polémique, il faut suivre de près les dynamiques de réconciliation des pays dits post-crises. Plusieurs situations s’offrent à observance : le Mali, la Côte d’Ivoire, la Guinée Bissau, le Libéria, la Sierra Leone… Un regard et une analyse dans le temps doivent permettre une lecture attentive et détaillée de tous les aspects de ces parcours de réinvention ou d’invention du vivre ensemble. Ils se situent bien au-delà d’une grille d’appréciation «objective» de la vie sociale et politique, notamment électorale, dont le principe «un Homme, une voix» est un des paramètres d’appréciation de cette «logique majoritaire».

L’arithmétique électorale est incomplète à panser les blessures et à proposer des solutions profondément et résolument consensuelles. Elle est un moment de légitimation, le répit du questionnement permanent de la citoyenneté individuelle et collective. L’argument de la cristallisation et de l’absolutisation de cette légitimité ne peut donc être évoqué en permanence. Cette légitimité doit se consolider en se fondant sur la capacité d’inventivité qui associe tous les acteurs sociaux et politiques à l’investissement collectif et au partage des bénéfices du retour sur investissement escompté.
Les «territorialismes» («nationalisme» des anciennes colonies, aux dires de Senghor) dont les Africains ont hérité au terme des colonisations, portaient en eux-mêmes quelques-unes des causes des crises qui allaient survenir aussitôt après la proclamation des indépendances. Il a été demandé à ces anciennes colonies de constituer des nations à partir d’États hérités des colons (État compris comme administration coloniale). Il n’en reste pas moins aujourd’hui l’urgence de la question de la citoyenneté. Dans la vision stratégique qu’ont les Africains de l’évolution du continent, cette question est centrale. Les dynamiques d’intégration régionale en cours en ce moment ne peuvent en faire l’économie, tant la trajectoire de chacun des Etats est déterminante de l’accomplissement de ces grands projets. Les exigences de variabilité et d’originalité de cette inventivité politique et citoyenne quotidienne s’invitent donc dans chacun des cas susmentionnés. Mais ce n’est pas tout. L’expérience toute particulière en construction dans les Grands Lacs peut être inspiratrice d’autres régions du continent. Mais elle a besoin soin de lisibilité, que ce soit au Rwanda, au Burundi ou même dans le chaudron de la RDC (des espèces bigarrées de démocratie consociative y sont à l’oeuvre). Les évènements en cours en RCA et au Nigéria sont, eux, aggravants des carences des États à penser d’abord suffisamment le local, avant une projection dans le global.

La capacité des communautés à se construire à la base, au niveau des solidarités dites primaires, indiquera le chemin qui sera à suivre, dans l’édification des modèles de référence aux niveaux national et sous-régional. Encore faudrait-il que le centre omnipotent en saisisse la quintessence des enjeux. Le rapport distendu qui s’établit entre cette omnipotence du centre de décision et la base (une tout autre facette du «pays réel») explique grandement les dérapages nombreux dont nous avons commencé de faire cas, et dont la fraude systématique et le déni du droit (s’apparentant à du gangstérisme constitutionnel) sont des manifestations.

Une démocratie réellement implicative et citoyenne, tel doit être le but des manoeuvres qui situent résolument les entrepreneurs politiques, dont certains sont passés maîtres en combine électorale et en magouille constitutionnelle. Il est cependant à se féliciter de l’affirmation lente mais progressive d’un patchwork de corps médians, interface entre les membres de cette sorte de pègre politique et le peuple dans sa vastitude et son isolement.

Germain-Hervé Mbia Yebega est politologue, chercheur en relations internationales et consultant en paix et sécurité, résolution des conflits en Afrique. Chargé de programme "Gouvernance, paix et sécurité" à l'Institut Afrique Monde (IAM), il est également chercheur associé au GRIP et à la Fondation Paul Ango Ela de Géopolitique (FPAE). Ses domaines d’expertise recouvrent : la paix et le développement durable ; les pensées stratégiques en Afrique ; les sorties de crises et la reconstruction post-conflit.

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