Enseignement – Thierry Sibieude : « l’Afrique a besoin de créer de la valeur »

by club2030

Enseignement – Thierry Sibieude : « l’Afrique a besoin de créer de la valeur »

by club2030

by club2030

ENTRETIEN. Directeur du campus Essec Afrique Atlantique de Rabat, Thierry Sibieude veut multiplier les partenariats avec les business schools du Sud.

Cofondateur et titulaire de la chaire entrepreneuriat social à l’Essec de Cergy, en région parisienne, Thierry Sibieude est également directeur de l’Institut de l’innovation et de l’entrepreneuriat social (Essec IIES). Dans le cadre de la stratégie de déploiement multipôle de l’Essec, il a pris la direction générale du campus Essec Afrique Atlantique appelé à être un hub économique et culturel rayonnant sur l’ensemble du Maroc et sur le continent africain. Objectif : former des cadres opérationnels de très bon niveau capables de créer des richesses et d’affronter les enjeux stratégiques des années à venir. Dans cette dynamique, il était présent au 25e anniversaire du groupe ISM (Institut supérieur de management) crée par Amadou Diaw et devenu depuis le premier groupe d’enseignement privé supérieur d’Afrique de l’Ouest. Il s’est confié au Point Afrique.

Le Point Afrique : Quel sens donnez-vous au partenariat avec des écoles du Sud ?

Thierry Sibieude : En fait, l’idée de l’implantation de l’Essec au Maroc, c’est précisément de construire une base à partir de laquelle on va pouvoir faire monter en compétence les jeunes gens mais aussi les managers du continent africain. En fait, notre raisonnement est de considérer que le besoin du continent africain est de créer de la valeur. Il y a 11 à 13 millions de jeunes qui arrivent sur le marché du travail en Afrique tous les ans. Si on regarde les chiffres des grandes organisations internationales, il y a 600 millions de personnes en âge de travailler aujourd’hui en Afrique. Donc, il y aura un milliard deux cents millions de personnes sur le marché du travail qui ne pourront pas toutes être fonctionnaires ou salariées de grands groupes. Résultat : il faudra créer de la valeur sur les territoires et pour ce faire, il faudra s’appuyer sur un vecteur privilégié : la création d’entreprises. D’où notre volonté d’être un acteur du système éducatif africain dans son ensemble. On n’est pas là simplement pour se limiter à l’argent et aux marchés de la formation continue, nous sommes là avec l’ensemble de nos programmes depuis le BBA, c’est-à-dire le programme post-bac, jusqu’à l’exécutive MBA pour vraiment bien nous ancrer sur le territoire et sur le continent africain.

Vous avez déjà formé des jeunes à l’entrepreunariat en Afrique ?

Pour l’instant, j’ai juste formé les professeurs de l’Institut supérieur de management (ISM) à l’entrepreunariat. J’ai fait un séminaire de formation d’une durée de trois jours à l’occasion duquel on a partagé, on a échangé sur des pratiques de travail, le but étant de faire profiter du travail qu’on fait depuis quinze ans à l’Essec sur ces questions d’entrepreunariat. Et puis, on a une promotion de quinze étudiants qui ont intégré le BBA à Rabat, et on a également un premier groupe de dix étudiants qui viennent de Cergy. Après la classe préparatoire, ils vont passer six mois au Maroc et en Afrique pour mieux comprendre les enjeux du continent africain, les opportunités de business, mais aussi les caractéristiques et les obstacles. Ce programme que l’on fait avec l’École centrale de Casablanca propose trois mois de cours intensifs et après trois mois de travail sur le terrain. Le projet de création d’entreprises doit être porté par un étudiant ou une entreprise ou encore un acteur africain pour lequel nos étudiants vont travailler pendant trois mois.

Il y a d’un côté le cursus créé à Rabat et en plus des initiatives individuelles…

Non, c’est plus que cela. En fait, nous avons, et notre volonté d’être présent sur le continent puisque notre campus a une capacité de 480 places avec une résidence universitaire de 90 lits pour commencer, et notre ambition de développer sur ce campus des formations pluri-disciplinaires comme à l’Essec. La grande innovation, c’est qu’on aura les mêmes diplômes à Cergy qu’à Rabat. C’est-à-dire qu’un jeune qui commence son diplôme à Rabat aura le même diplôme, les mêmes professeurs les mêmes correcteurs ou examens qu’à Cergy. De fait, je crois qu’on est les premiers à implanter notre campus non pas comme une antenne pour organiser des échanges, mais comme une réelle institution d’enseignement supérieur dans toutes ses dimensions.

Paris-Dauphine a créé aussi un campus, il y a une dynamique des écoles françaises, mais pourquoi vous avez choisi Rabat ?

La question, c’est pourquoi le Maroc ? On aurait pu être au Sénégal ou en Côte d’Ivoire par exemple, mais en scrutant de plus près la situation du continent et les différentes politiques publiques ainsi que les situations économiques, le Maroc s’est imposé assez rapidement comme le pays le plus adapté. C’est un hub vers toutes les capitales africaines via son aéroport de Casablanca. Les Marocains sont très engagés dans une politique de développement Sud-Sud sous l’impulsion du roi du Maroc, qui est très actif en la matière.

Il y a également une tradition de flux d’étudiants subsahariens vers le Maroc plus que dans le sens inverse. Le Maroc est en plus très présent en Afrique francophone, de quoi faire sens d’être au Maroc. Par ailleurs, nous avons à l’Essec des liens avec ce pays depuis longtemps. La plus grosse nationalité d’étudiants étrangers chez nous a longtemps été constituée de Marocains même si maintenant les Chinois et les Indiens ont le vent en poupe. Mais ils sont originaires de pays de plus d’un milliard d’habitants.

Est-ce qu’il y a chez l’Essec une volonté particulière d’attirer des étudiants d’Afrique subsaharienne ?

Mon objectif est de nouer beaucoup de partenariats dans les pays africains au Sénégal mais aussi en Côte d’Ivoire, au Gabon aussi ainsi qu’au Burkina Faso et au Cameroun, des partenariats tels que celui que nous avons déjà noué avec l’université internationale de Rabat pour le management des villes et des territoires. Nous souhaitons développer des liens qui permettront aux meilleurs étudiants des écoles de ces pays de venir à l’Essec. Nous voulons ainsi travailler ensemble pour développer les compétences. Et l’Essec entend contribuer dans le plus grand respect de ses interlocuteurs. Parallèlement, je vais essayer de développer un programme dédié à l’entrepreunariat en direction des professeurs de manière à créer une communauté de professeurs dédiés à l’entrepreunariat en Afrique avec quelques partenaires privilégiés comme l’ISM.

S’il y a quelque chose à retenir dans l’expérience de l’ISM par rapport à vous, l’Essec, ce serait quoi ?

Je pense que le point de convergence le plus évident est celui de l’ambition de former des entrepreneurs ou des intrapreneurs comme le fait l’Essec depuis une quinzaine d’années. C’est l’un des points qui nous distinguent de nos confrères français. Et, c’est sur cela que nous nous sommes spontanément retrouvés. Ensuite, l’ISM s’est tout de suite intéressée à nos BBA (diplômes post-bac) et à nos Masters. Il y a donc une certaine similitude dans nos démarches.

Comment appréhendez-vous l’élément culturel dans vos cursus ?

Une des grandes forces de l’ISM est de savoir attirer tous les étudiants de tous les grands pays de la zone. J’ai une conscience aiguë de cet enjeu culturel, je crois que les partenariats vont nous aider, dans les binômes que nous allons construire avec l’ISM et l’Essec, voir d’autres écoles, nous on apportera l’expertise, une bonne connaissance des exigences des grandes entreprises dans l’enseignement supérieur international, des savoir-faire pluridisciplinaire et nos partenaires pourront nous apporter cette compréhension du terrain, des réalités des individus, eux progresseront sur le plan technique et nous on progressera sur le plan culturel !

Comment voyez-vous le campus Essec dans dix ans en Afrique ?

Je pense qu’il faudrait qu’on ait un campus Essec qui soit réellement pluridisciplinaire c’est-à-dire capable d’offrir des formations qui combinent des étudiants ingénieurs, des étudiants dans le domaine de l’art, du design, évidemment des étudiants en Business School. Et cette formation pluridisciplinaire devra être fréquentée par des jeunes issus de tous les pays du continent africain. Et enfin, c’est un axe sur lequel je vais vraiment insister, il faudrait que ce campus et ses formations soient vraiment ouvertes à tous les Africains, quel que soit leur niveau de revenu, quelle que soit leur origine sociale. Nous proposons aujourd’hui des formations qui sont très coûteuses, ce qui nous amène à solliciter des jeunes issus des couches les plus favorisées de la population. Parce qu’il n’y a pas un autre moyen de démarrer un business que de créer du revenu. Mais, ce n’est en aucun cas une fin en soi, ni l’alpha et l’oméga de notre démarche. C’est un point de passage pour ensuite être capable d’identifier les meilleurs étudiants du continent et leur proposer une formation d’excellence. Enfin, j’aimerais que dans 10 ans, à Rabat, nous ayons un centre de réflexion de référence de ce qui se fait de mieux dans le domaine de l’entrepreneuriat en Afrique, et que l’Essec apparaisse comme référence du XXIe siècle en Afrique.

Club 2030 Afrique, Think Tank crée en 2012, est une institution à but non lucratif dont la mission principale est de mettre ses compétences, son savoir et son énergie au service des organes de gouvernance africains afin de les accompagner dans le processus d’émergence qui mènera à un développement économique et social harmonieux à horizon 2030. Le club 2030 Afrique entend répondre aux besoins de réflexion et d’échange qui se font particulièrement sentir dans un contexte où les problématiques de bonne gouvernance financière, de croissance économique durable et de développement humain constituent des enjeux majeurs en vue d’un affermissement des tendances socio-économiques observées sur le continent africain.

Top