Romuald NTENNOU, Associé chez Spectrum Fiduciaire Llc, son point de vue sur les enjeux de l’Accord de partenariat économique (APE) Union Européenne – Afrique Caraïbes et Pacifique (ACP)

by club2030

Romuald NTENNOU, Associé chez Spectrum Fiduciaire Llc, son point de vue sur les enjeux de l’Accord de partenariat économique (APE) Union Européenne – Afrique Caraïbes et Pacifique (ACP)

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Accord de partenariat économique (APE) Union Européenne – Afrique Caraïbes et Pacifique (ACP) : Un accord de dupes qui va détruire l’industrie et les emplois en Afrique


Depuis quelques années, le désamour entre l’Union-Européenne et ses citoyens ne cesse de s’accroitre, notamment du fait de la monté en puissance des populismes dans plusieurs pays européens, de la crise migratoire, du chômage dont la courbe à de la peine à s’inverser, du traité transatlantique dont les populations et certains dirigeants européens n’en veulent pas, de la politique néo-libérale qu’imposent les technocrates Bruxellois aux pays membres l’Union et maintenant delà de l’UE.

L’accord de partenariat économique (APE) entre l’Union Européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) a fait naître un nouveau groupe de populations qui ne portent plus l’UE dans leurs cœurs. Ces populations sont certes dans des pays lointains (Afrique, Caraïbes et Pacifique), mais les conséquences de cet APE imposé par l’UE aux pays ACP sont évidentes car il détruira l’industrie embryonnaire de l’Afrique et ses emplois, poussera de plus en plus les jeunes africains qui n’auront plus d’espoirs dans leurs pays respectifs vers l’Europe à la recherche d’une vie meilleure. Il faudra alors en ce moment-là que les technocrates de Bruxelles expliquent aux populations européennes que ce flux d’immigration sans précédent est le résultat d’une politique de libre-échanges tout azimut, imposée sans discernement aux pays africains qui n’en voulaient pas.

Pour rappel, l’APE signé par plusieurs pays africains en 2014 sous la pression de l’UE, est le résultat de plus de dix ans de « négociations » d’un accord de libre-échanges entre l’UE et les pays ACP (77 pays) prévu depuis 2000 par l’accord de Cotonou (Bénin). Il prévoit en effet qu’à partir de 2020, les droits de douane sur plus de 1760 produits de l’UE vers l’Afrique et de la totalité des droits de douane des produits africains vers le marché de l’UE seront supprimés. Sachant que les accords de Lomé puis de Cotonou prévoyaient déjà ces franchises de droit de douane sur les produits africains à destination de l’UE, il n’y a donc pas de changements véritables pour les produits africains ; ce qui n’est pas le cas des produits de l’UE vers les pays africains où 1760 produits seront exemptées de droit de douane.
Il faut dire que la remise en cause des accords de Lomé a commencé suite à une plainte déposée devant l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) par les pays latino-américains producteurs de bananes en 1995 et soutenus par les USA. La plainte reprochait à l’UE les « préférences » accordées aux pays ACP dont les produits étaient exemptés de droit de douane à l’entrée du marché de l’UE selon l’accord de Lomé signé en 1975, puis renouvelé en 1980, 1985, 1990 et 2000. Suite à cette plainte, l’OMC a ordonné à l’UE de remplacer les « préférences » accordées aux pays ACP par des « avantages » réciproques pour fin 2007 au plus tard. C’est donc la raison pour laquelle un APE est prévu dès 2000 par les accords de Cotonou.

Sauf qu’en fin 2007, seuls les Caraïbes avaient pu conclure un APE régional, quarante-trois pays n’avaient pas évolué d’un iota et vingt avaient signés un APE intérimaire avec l’UE. Et pour cause, le contenu de l’APE ne rencontre pas l’enthousiasme escompté par l’UE bien au contraire, il fait l’objet de critiques acerbes. Les organisations patronales, la société civile, les syndicats, les organisations paysannes, les producteurs et la grande majorité des gouvernements africains n’en veulent pas car jugé trop libéral et les inconvénients de l’APE dépassent largement les avantages avec les conséquences désastreuses pour les pays africains.

Voyant que les résistances s’étaient organisées au sein des pays africains, l’UE adresse aux dirigeants africains un ultimatum leur indiquant qu’à défaut de la ratification des APE régionaux avant le 1er octobre 2014, les exportations des pays africains (hors pays les moins avancés) seront taxées à l’entrée sur le marché de l’Union. Il est à relever qu’à ce stade des négociations, les parties (UE et pays africains) n’arrivent pas à trouver de compromis car le fossé est grand. Notamment sur : les taux et délais d’ouverture du marché africain, les conditions et la mise en œuvre du programme APE pour le développement, les subventions qu’accordent l’UE à ses agriculteurs et éleveurs, le traitement des pays ayant conclu un accord de libre-échanges avec l’UE (par exemple les pays d’Amériques latines qui sont des concurrents directs des pays africains sur le marché de l’UE), les règles d’origine et la clause de non-exécution.
Pour atteindre son objectif, les négociateurs de l’UE vont appliquer la tactique du « diviser pour mieux régner ». En effet, au lieu de négocier avec les blocs régionaux (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), etc.) comme c’était le cas, ils vont poursuivre les négociations en ciblant les pays dits « locomotives » des blocs régionaux. C’est ainsi que dans le bloc CEDEAO, les cibles seront les dirigeants de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal, et dans le bloc CEMAC ça sera le Cameroun. Ainsi, en cas d’accord sur un APE intérimaire avec les dirigeants de ces pays, la communauté économique à laquelle ils appartiennent se trouvera fragilisée et il sera plus facile pour l’UE de conclure des APE régionaux en Afrique.

La mise en œuvre de cette politique du « diviser pour mieux régner » par les négociateurs de l’UE se trouvera facilitée avec l’arrivée au pouvoir en Côte-d’Ivoire en 2011 d’Alassane Ouattara et de Macky Sall au Sénégal en 2012. Comme le dit M. Cheikh Tidiane Dieye, Directeur de la Plate-forme des organisations de la société civile de l’Afrique de l’Ouest sur l’accord de Cotonou (Poscao), « M. Alassane Ouattara prendra la présidence de la CEDEAO en 2012 et  en libéral convaincu, il ne cache pas son engagement pour la conclusion de l’accord de libre-échange qui aura pour lui un double intérêt : maintenir l’accès préférentiel au marché de l’UE pour le thon, la banane et le cacao, entre autres, et remplacer l’APE  intérimaire de la Côte d’Ivoire dont  la mise en œuvre aurait eu pour effet de perturber le processus d’intégration en Afrique de l’Ouest. Son poids politique en Afrique de l’Ouest et son emprise sur les Commissions de la CEDEAO et de l’UEMOA ont servi sa stratégie ».

Quant à M. Macky Sall, il retournera sa veste suite à sa nomination comme « facilitateur de la négociation des APE » par les Chefs d’Etats de la CEDEAO en 2013 à Dakar. Ne pouvant maintenir sa position de farouche frondeur contre les APE comme c’était le cas jusque-là, M. Macky Sall deviendra très conciliant et fera basculer la CEDEAO dans les bras de l’UE avec l’inlassable appui de M. Ouattara. Il brandira les APE de la région CEDEAO comme un trophée dans le but de se positionner comme l’interlocuteur privilégié des européens.

Dans la zone CEMAC, les chefs d’Etats de la communauté n’accordent pas leurs violons sur un APE car les positions sont trop divergentes ; qu’à cela ne tienne, M. Paul Biya le président du Cameroun (poids lourd économique de la sous-région) fera cavalier seul en acceptant un APE intérimaire avec l’UE.

C’est ainsi que le 10 juillet 2014, les chefs d’Etats de la CEDEAO signent l’APE pour l’Afrique de l’Ouest, le 22 juillet c’est au tour de ceux de l’Afrique australe de parapher leur APE, et enfin ce même 22 juillet, le Cameroun ratifiait son APE intérimaire qui a ensuite été mis en œuvre par décret du président Biya le 03 août 2016. Autorisant ainsi l’accès au Cameroun de plus de 1760 produits de l’UE dont les droits de douane seront progressivement réduits de -25% par année sur quatre ans.

La signature de ces APE par les dirigeants africains a créé un tôlé dans la société civile, dans les organisations patronales et les organisations paysannes africaines. Car elles étaient toutes contre ces APE, les inconvénients pour les pays africains étant innombrables à commencer par les énormes pertes des recettes douanières qui représentent en moyenne 25% des recettes budgétaires des états africains. Ensuite ces APE ne tiennent pas compte ou très peu de la différence des situations économiques entre les pays africains entre eux, puis entre les pays africains et ceux de l’UE. Pour illustrer mes propos, la production de pâtes alimentaires d’un pays comme l’Italie est supérieure à la totalité de la production pâtes des pays de la CEDEAO et de la CEMAC cumulées. Il en est de même pour un produit comme la purée et le concentré de tomates pour un pays comme l’Espagne, ou la production de poulets d’un pays comme l’Allemagne qui en passant reçoivent des subventions agricoles de l’UE.
Dès lors comment peut-on imaginer que les paysans, les éleveurs ou le petit industriel de Bamako, Douala, Abidjan ou de Dakar peuvent faire face à la concurrence des produits de l’UE sur un marché de libre-échanges. Cette asymétrie des niveaux économiques entre l’UE et les pays ACP est encore plus frappante lorsque l’on regarde les données disponibles de la banque mondiale en 2005. Le Produit National Brut (PNB) de l’ensemble des pays ACP se chiffrait à 425 Milliards de dollars et celui des 25 pays de l’UE à 13300 Milliards de dollars soit un rapport de 1 à 31. Aussi, à cette période, les échanges des pays ACP ne constituaient que 3% du commerce de l’UE soit 2.9% des exportations et 3.1% des importations. A l’inverse, les exportations de l’UE dans les importations des ACP représentaient des parts importantes soit 24.4% globalement avec des différences très significatives suivants les régions. Ainsi ces exportations de l’UE représentaient 74% des importations de la région CEMAC, 35% pour la CEDEAO, 33% pour l’Afrique australe.

Les partisans de ces APE vous diront que l’UE via le Fonds Européen de Développement (FED) a mis en place un programme d’ajustement pour la mise à niveau des secteurs productifs en Afrique. Ce programme de l’UE dit de « mise à niveau du secteur productif en Afrique » est un trompe l’œil car il est impossible avec les ressources disponibles du FED de porter le secteur productif du Mali, du Burkina, du Tchad, Togo, etc. à un niveau qui puisse leur permettre de compétir à arme égale avec les producteurs de l’UE sur un marché de libre-échanges. C’est comme si on mettait sur une même piste de course une Ferrari contre une vélo moteur. On peut aussi relever que depuis 1975 date de signature du 1er accord à ce jour, à peine cinq produits africains (pétrole brut, cacao, banane, sucre, fleurs coupées) représentent près de 80% de leurs exportations vers l’UE. Ceci démontre bien que les produits à l’exportation d’origine africaine vers l’UE sont peu diversifiés. Il est donc probable que ces APE maintiennent l’Afrique dans une position de pourvoyeuse de matière première pour l’UE au détriment de l’industrialisation de l’Afrique. Ainsi l’Afrique restera un continent d’importation des produits transformés et de biens manufacturés de l’UE. Les dirigeants africains en signant ces APE ont de fait décidé de faire une croix sur l’industrialisation de leur économie car, les industries locales qui ont généralement peu de ressources, des capacités de production limitées, des technologies moins avancées se retrouveront en concurrence frontale avec les produits importés de bien meilleure qualité, parfois subventionnés par l’UE à des prix bien plus bas.

Il faut préciser qu’au même moment que l’UE pressait les dirigeants africains à signer ces APE, l’UE concluait les accords bilatéraux avec plusieurs pays d’Amériques Latines permettant à ces derniers de bénéficier de tarifs douaniers préférentiels à l’entrée de leurs produits sur le marché européen. Ces pays Latino-américains bénéficient des investissements des fonds américains dans le secteur agricole dont les montants sont sans commune mesure bien plus élevés que ceux du FED à destination des pays africains. Or les produits de ces pays Latino-américains sont en concurrence directe avec les produits des pays africains sur le marché de l’UE notamment pour des produits comme la banane et le cacao pour ne citer que ces deux produits. Et donc, l’avantage concurrentiel que pouvait bénéficier les producteurs africains exportateurs en direction de l’UE grâce à ces APE tombe à l’eau. Par exemple, en 2012 l’UE a signé les accords libéraux de libre-échanges (ALE) avec la Colombie, le Pérou, le Costa Rica, Salvador, le Honduras, le Guatemala, le Nicaragua et Panama dont les droits de douane sur leurs fruits seront abaissés peu à peu pour atteindre 75 euros par tonne en 2019. Le 17 juillet 2014, l’Equateur signait aussi avec l’UE un accord d’association dans le même sens.
On voit bien que les « avantages réciproques » que devaient bénéficiers la banane et le cacao africains par exemple grâce aux APE avec l’UE perdront tout intérêt pour les africains si les accords de libre-échanges avec les pays latino-américains (Mercosur), ainsi qu’avec l’Inde et les Philippines aboutissent. Les négociations entre l’UE et le Mercosur (l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Paraguay, l’Uruguay et le Venezuela) ont été finalisées en juillet 2014. Un second round de négociations sera effectué entre l’UE et le Mercosur pour aboutir à un accord final. Il faut dire que les échanges commerciaux entre l’UE et le Mercosur ne cesse de croitre. Ainsi en 2013, le Mercosur est devenu le sixième plus important marché d’exportation pour l’UE passant de 28 milliards d’euros en 2007 à 57 milliards d’euros en 2013. Les exportations du Mercosur vers l’UE sont essentiellement constituées des produits agricoles (43 % des exportations totales) et des matières premières (28 %), alors que l’UE exporte principalement des produits manufacturés vers ce bloc, notamment des machines et des équipements de transport (46 % des exportations totales) et des produits chimiques (22 %).

Enfin, on ne peut pas exclure que l’UE à travers ces APE avec les régions africaines, soit dans une stratégie de repositionnement dans un pré-carré qu’elle considère comme étant sa chasse gardée (du fait du passé colonial de plusieurs de ses membres : France, Belgique, Royaume-Uni, Italie, Portugal, etc.) face à la guerre économique qu’elle mène contre la Chine et dans une certaine mesure contre les USA sur le continent africain. Car en à peine vingt ans, la Chine est devenue le premier partenaire commercial et de développement de l’Afrique subsaharienne avec des échanges chiffrés à 170 milliards de dollars en 2013.

En imposant ces APE aux pays africaines, c’est un marché aujourd’hui estimé à 1.1 milliards d’habitants avec des projections à 2 milliards d’habitants en 2050 que s’offre l’UE. Une classe moyenne comprise entre 13 et 34 % suivants les sources. Un terreau avec un tissu économique embryonnaire, sans véritable concurrence qui pourrait apporter à l’UE la croissance économique qu’elle a du mal à retrouver sur ses propres terres (du moins à des niveaux qui pourraient améliorer la réduction du chômage dans l’UE) et qu’il faut aller chercher ailleurs, de préférence dans des pays plus faibles et moins compétitifs comme en Afrique, même si au passage cela causera des dégâts collatéraux qu’elle pense pouvoir colmater grâce aux aides de « mise à niveau » financées par son Fonds Européen de Développement.

Par Romuald NTENNOU, Associé chez Spectrum Fiduciaire Llc, Suisse

Club 2030 Afrique, Think Tank crée en 2012, est une institution à but non lucratif dont la mission principale est de mettre ses compétences, son savoir et son énergie au service des organes de gouvernance africains afin de les accompagner dans le processus d’émergence qui mènera à un développement économique et social harmonieux à horizon 2030. Le club 2030 Afrique entend répondre aux besoins de réflexion et d’échange qui se font particulièrement sentir dans un contexte où les problématiques de bonne gouvernance financière, de croissance économique durable et de développement humain constituent des enjeux majeurs en vue d’un affermissement des tendances socio-économiques observées sur le continent africain.

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