Manuel Amegee : La gestion des déchets ménagers et industriels : quelle politique pour l’Afrique ?

by Manuel Amegee

Manuel Amegee : La gestion des déchets ménagers et industriels : quelle politique pour l’Afrique ?

by Manuel Amegee

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A l’heure où l’on parle enfin du décollage économique de l’Afrique, et où les croissances urbaines sont exponentielles dans les grandes villes, nombre d’agglomérations africaines se sont laissées littéralement débordées par leur production de déchets.

En effet la gestion des déchets est une problématique à laquelle la plupart des états africains sont confrontés. Elle constitue ainsi l’un des principaux défis à relever pour le quotidien et l’avenir des populations africaines. Compte tenu de la croissance économique en cours, les organes de gouvernance nationales comme locales doivent adopter une approche globale de la gestion des déchets, en s’appropriant au préalable le concept suivant :  « investir dans la gestion des déchets revient avant tout à investir dans le développement durable ».

Or, force est de constater que le spectre des dégâts environnementaux et sanitaires liés aux négligences en matière de traitement des déchets perdure dans le temps et risque de s’accentuer si la question n’est pas abordée de manière frontale pour trouver les solutions adaptées. L’augmentation de la production de déchets est un corollaire de la croissance économique, dans la mesure où la croissance de l’activité économique engendre un accroissement de la consommation, et donc une augmentation certaine de la production de déchets ménagers (déchets organiques, déchets plastiques) et des déchets industriels en tous genres

L’Afrique n’a d’autre option que celle de mieux gérer les déchets qu’elle génère. Certes, aujourd’hui sa part de production de déchets à l’échelle mondiale reste assez limitée, elle ne représente que 5% de la production mondiale, mais elle connait une croissance rapide et très mal maitrisée. Pour illustration, la production de déchets par habitant en Afrique est évaluée à environ 0,65 kg/habitant/jour, quand les Etats-Unis produisent en moyenne près de 2 kg/j/habitant de déchets et que les européens en produisent moitié moins. Dans un même temps il convient de noter que la production de déchets électroniques connait une progression fulgurante. Le PNUE (Programme des Nations Unies pour l’Environnement) prévoit que dès 2017, l’Afrique dépasserait l’Europe en termes de production de DEEE (Déchets Equipements Electriques et Electroniques), du au taux de pénétration des téléphones portables et des télévisions principalement. Sans préjuger de l’avenir qui laisse à penser que les pays africains atteindront les niveaux de production de déchets des pays occidentaux un jour prochain, il n’en reste pas moins certain que les enjeux associés vont  incontestablement se renforcer ; raison pour  laquelle, il faut d’ores et déjà se pencher sur la question en planifiant la construction des infrastructures appropriées pour le traitement de ces déchets.

Partant de ce constat fort, une politique visionnaire doit être mise en œuvre pour anticiper l’avenir. Au regard de cette situation préoccupante, certaines questions s’imposent d’elles-mêmes :

« Pour quelles raisons les pouvoirs publics ne mettent-ils pas en place des politiques efficaces, lisibles, visionnaires et audacieuses, pour traiter les déchets alors que des tas d’ordures jonchent les rues, les espaces verts et que des décharges sauvages sont visibles un peu partout dans le paysage ? »

Tout simplement parce que la gestion des déchets est « budgétivore ». Elle nécessite en effet des investissements importants et couteux, notamment à travers une planification pluriannuelle de projet de construction d’usine de traitement et de recyclage des déchets.

Nul ne peut nier que le traitement ait un cout, mais il convient de le mettre en perspective avec les bénéfices sanitaires et économiques potentiellement attendus, ceci d’autant plus que l’absence de gestion des déchets a un coût humain bien plus conséquent. En réalité, sur le long terme, cela coute plus cher de devoir soigner des populations en mauvaise santé et dans l’incapacité de contribuer pleinement au développement économique de leur pays, que de conduire des politiques préventives d’assainissement de l’environnement dans lequel elles évoluent jour après jour.

Quelles sont actuellement les politiques engagées ou les solutions proposées par les pouvoirs publics africains ?

La politique de la gestion des déchets est généralement peu lisible sur le long terme, à quelques exceptions près, elle est très souvent confiée au secteur privée ou informel qui a une vision « court termiste » de la gestion au quotidien. Pour autant, il ne s’agit pas de les  blâmer pour avoir pris une place laissée vacante.

Au contraire, s’agissant d’une vision à long terme, ce serait légitiment aux pouvoirs publics qu’il reviendrait de l’incarner. Or dans bien des pays, les autorités restent très souvent défaillantes à ce sujet. Heureusement, certains pays montrent l’exemple. Au Burkina, une unité de traitement et de valorisation des déchets, qui traite plus de 206 000 tonnes de déchet par an, financée par la Banque mondiale, a vu le jour il y a quelques années déjà. Il convient également de citer l’exemple du Ghana qui a engagé un programme de construction d’usine de recyclage s’alliant au constructeur chinois, Zoomlion. Le programme dotera à terme les 10 régions du pays d’au moins une usine de traitement et de valorisation de déchet.

La gestion des déchets en Afrique a toujours été approchée sous le prisme quasi unique de la gestion de l’hygiène et de la santé publique, mais la gestion des déchets contribue également à préserver l’environnement, à produire de nouvelles ressources secondaires supplémentaires, à générer des économies d’énergie (énergie fossile non utilisée pour l’extraction des matières premières par exemple) et à éviter la pollution des sols, de l’eau, des ressources halieutiques qui sont liées aux déchets qui échouent  dans la nature.

Pour qu’advienne, dans les meilleurs délais et conditions, un changement d’état d’esprit et des perceptions sur les déchets produits par les africains, les gouvernements doivent au préalable s’approprier l’idée selon laquelle « les déchets, sont une mine d’or » dont la valeur économique est indéniable. En effet, il existe aujourd’hui un marché mondial des déchets qui prend de l’ampleur d’année en année et la valeur des déchets devrait continuer à s’accroitre dans les décennies à venir. Il s’agit d’une ressource, une matière non pas première mais secondaire qui a toute son importance surtout dans cette période ou les ressources de planète vont en s’amenuisant.

Une gestion efficace et intelligente des déchets sera très bénéfique pour les états africains, elle contribuera à :

–        créer un environnement plus sain pour les populations qui seront en meilleure santé. Il en découlera une baisse des dépenses de santé et une amélioration du pouvoir d’achat ;

–        susciter des emplois pour tout un secteur d’activité ;

–        produire des ressources secondaires complémentaires en substitution de matières premières raréfiées.

L’Afrique a aujourd’hui le devoir de se pencher sur ses poubelles. Elle doit penser à une gestion ingénieuse des conséquences de sa nouvelle prospérité : la production de déchets. Pour cela, elle peut bénéficier de l’expertise du monde entier dans ce secteur pour importer sur son sol les meilleures technologies, les plus adaptées mais pas nécessairement les plus chères pour répondre aux besoins spécifiques.

Quelles sont ces solutions techniques disponibles et adaptées au contexte africain ?

Des solutions techniques pertinentes existent. Ces différentes technologies permettent le recyclage des déchets (papiers cartons, plastiques et métaux), ce qu’on qualifie de « valorisation matière » mais aussi la valorisation énergétique des déchets.

En France, on construit des UVBE (Unité de Valorisation Biologique et Energétique). Ces installations d’une grande complexité sont des centres multifilières qui regroupent en leur sein plusieurs installations de traitement : une unité de tri et de recyclage, une unité de production de biogaz et d’électricité à partir des déchets organiques séparés, la récupération des combustibles de substitution résiduels (CSR) ou encore appelé des  combustibles dérivés des déchets, qu’on brûle dans un incinérateur pour produire de l’énergie en remplacement d’énergies fossiles onéreuses et polluantes.

Il ne s’agit pas de transposer ce modèle sans l’adapter aux contraintes locales,  mais plutôt d’adopter les technologies les plus appropriées répondant aux besoins spécifiques de l’Afrique. A l’instar de la ville de Yaoundé, qui a mis en place un réseau de puits de captage du biogaz sur des décharges afin de collecter le biogaz qui après épuration est brûlé dans des moteurs de cogénération pour produire de l’électricité. Il serait souhaitable de généraliser ce type de solutions techniques sur toutes les décharges où l’on trouve des déchets organiques, et ce d’autant plus que cette solution présente  l’avantage de nécessiter des investissements moindres. D’un point de vue plus global, il s’agit d’encourager toutes les initiatives allant dans ce sens, en permettant de créer des industries de production d’énergie propres et renouvelables.

En effet, la construction de centrales de biométhanisation à partir de déchets organiques est une solution technique intéressante. Le biogaz produit est un gaz similaire au gaz naturel (1 mètre cube de biogaz équivaut à 0,94 mètre cube de gaz naturel), il peut être épuré pour produire du biométhane (constitué à 97% de méthane). Ce biométhane peut être comprimé pour être stocké, et être utilisé en remplacement des bonbonnes de gaz propane qui coûtent chères à produire ou encore servir de carburant vert pour les flottes de bus de ville ou de bennes à ordures pour la collecte des déchets. L’avantage de la biométhanisation est que ce procédé permet de produire un résidu appelé « digestat » qui est un amendement organique qui peut être commercialisé à la place des engrais chimiques qui coutent chers aux agriculteurs et qui à la longue appauvrissent les terres agricoles.

Ces technologies contribueront sans nul doute à la résorption du déficit énergétique auquel de nombreux pays africains font aujourd’hui face. Il est de notoriété publique que l’approvisionnement énergétique est une des conditions sinéquanone au développement d’une croissance saine et durable. En d’autres termes, il n’y aura pas de développement économique et industriel durable sans un approvisionnement énergétique sûr.

Il conviendra donc d’impulser des politiques permettant d’organiser cette filière en :

–        créant des collectes organisées et efficaces des déchets en fonction des catégories (dotation de poubelles, tri sélectif), et des producteurs (la collecte de DIB (Déchets Industriels Banals) auprès des industriels) ;

–        construisant différentes filières de traitement des déchets (filière organique et non organique) adaptées aux spécificités des pays : centre de tri et de recyclage des plastiques, des installations de compostage, des unités de valorisation des déchets organiques avec production de biogaz d’électricité tel qu’évoqué plus haut ;

–        mettant en place des infrastructures avec les capacités de traitement suffisantes, ce qui induira de mener au préalable des études de faisabilité ;

Cette politique ambitieuse doit être  basée sur trois principes piliers :

–        La mise en place d’une législation des déchets intégrant le concept de « pollueur payeur » ;

–        l’établissement d’une tarification incitative permettant aux populations et aux industriels de participer à la fois à la maitrise de la production des déchets mais aussi à la collecte, au recyclage et à la valorisation des déchets qu’ils génèrent.

–        Le transfert de technologies à l’occasion de la signature de nouveaux contrats afin de bénéficier de l’expertise internationale en la matière  et acquérir les savoirs et les compétences associées;

L’Afrique peut  s’inspirer des bonnes pratiques observées dans les pays industrialisés pour promouvoir des politiques efficientes qui prennent sens au regard des spécificités locales. Les concepts abordés dans cet article, une fois mis en applications permettront de faire entrer l’Afrique de plein pied dans l’économie circulaire. Ce nouveau modèle de développement économique, écologique et durable mais aussi social vise à transformer les déchets en matière première réutilisée pour la conception de nouveaux produits ou pour d’autres utilisations. L’adoption d’une telle approche permettra d’assurer une production industrielle propre, économe et ne mettant pas en péril les stocks de matières premières, tout en modifiant ou plus exactement en influençant les modes de vie des africains qui recourraient de préférence à des ressources primaires locales ou issues du recyclage. Un exemple concret d’application de cette philosophie est la conception par l’ingénieur togolais Wafate de l’imprimante 3D, construite à partir de déchets recyclés (DEEE).

Elle doit absolument faire appel à ces ressources insuffisamment exploitées d’ingéniosité, de savoirs et de compétences pour relever le défi du traitement des déchets. Ceci, afin, qu’à terme pour ces mêmes déchets ne soient non plus considérés comme une nuisance mais comme une richesse à exploiter et à valoriser.

Selon les estimations de l’OCDE, les besoins en investissements dans le secteur du traitement des déchets pourraient dépasser 150 milliards de dollars US d’ici à 2025 sur le continent africain. Une gestion des déchets raisonnée et clairvoyante constitue l’une des ambitions à poursuivre coute que coute pour relever les défis d’un développement durable résultant de solutions à la fois innovantes et éprouvées, pour organiser un secteur générateur d’emploi, source d’une croissance renouvelée et garant d’un développement industriel équilibré.

Manuel Amegee

Ingénieur

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