Le Rwanda, épicentre de l’Afrique numérique

by club2030

Le Rwanda, épicentre de l’Afrique numérique

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Dévasté par le génocide de 1994, le pays mise aujourd’hui résolument sur l’avenir et investit massivement dans Internet. Grâce à de solides politiques publiques, des investissements privés internationaux, et sa position géographique, il offre aux entrepreneurs africains les meilleures opportunités du continent.

Du haut de la tour Tele10, le groupe de médias qu’il a créé, Eugene Nyagahene contemple la métamorphose de Kigali. Partout des immeubles sortent de terre. Cet apatride est à l’image de la ville, du pays qui l’ont adopté : en reconstruction. Dans les années 80, il s’est lancé dans la vente et la location de voitures à Kinshasa, en République démocratique du Congo. En 1991, alors qu’il célèbre son mariage en France, ses commerces sont pillés par l’armée de Mobutu. « J’ai tout perdu en une soirée, je me suis retrouvé avec 2 000 dollars en poche seulement. Mais j’en ai tiré une leçon : je devais investir dans l’immatériel, dans quelque chose qui ne pourrait pas être pillé », raconte l’homme d’affaires. Il trouve refuge au Burundi, où il obtient ses premières licences pour diffuser des chaînes de télévision, puis arrive au Rwanda, juste après le génocide de 1994. « Mes amis disaient que j’étais fou, au début il n’y avait ni eau ni électricité. On est partis de zéro. » C’est dans ce pays meurtri, qui vient de perdre près de 1 million de personnes (dont 800 000 morts), qu’il va se trouver une patrie, créer la première chaîne de télévision et la première radio privées. Ces vingt dernières années, il a été saisi par le « miracle rwandais ». « L’envie de s’en sortir, de ne pas revivre ces cauchemars, c’est ce qu’il y a de plus puissant », souligne-t-il aujourd’hui.

un pays « business friendly »

Paul Kagame, qui a mis fin au génocide à la tête de son armée, devient président en 2000. Il tient le pays d’une main de fer, avec une vision claire, orientée vers le développement : « Le pays est enclavé, ne dispose pas de ressources naturelles comme certains de ses voisins. Il a fallu miser sur d’autres moyens, les nouvelles technologies sont un exemple », explique Jean-Philbert Nsengimana, ministre de la Jeunesse et des Technologies, ingénieur de formation qui a étudié à Singapour. Pas étonnant que la cité-État soit l’un de ses modèles. L’État encourage toutes les initiatives, via des plans quinquennaux. Ordre, sécurité, environnement économique : le Rwanda est le deuxième pays le plus « business friendly », selon la Banque mondiale, derrière l’île Maurice. Avec une politique efficace de promotion, un plan pour l’éducation, le développement d’infrastructures technologiques, le pays s’est fait une place parmi ses grands voisins.

« L’objectif est de faire du Rwanda le meilleur endroit pour démarrer son activité en Afrique », ajoute le ministre. Force est de constater qu’il est bien parti. Dirigé par une Rwandaise qui avait émigré aux États-Unis avec sa famille pour fuir la guerre, Visa a fait du pays son laboratoire du paiement mobile. Dès 2013, la société américaine a lancé un système compatible avec tous les opérateurs. NFrnds, une société internationale née à Tel-Aviv qui développe une technologie permettant de communiquer même sans Internet mobile, a déjà 200 000 utilisateurs actifs dans l’État africain (sur un total de 15 millions). Elle y a créé une plate-forme qui permet aux agriculteurs de recevoir des informations sur la météo, leurs récoltes, les prix des marchés… « On s’adapte, déclare Yan Kwizera, son patron pour le Rwanda, un serial entrepreneur. Grâce au système USSD, les données sont transformées et envoyées par SMS. Même sans forfait données, le service reste ainsi accessible. »

« c’est assez facile de se projeter ici »

Amanda Arch et Joanna Bichsel sont tombées amoureuses du Rwanda il y a quelques mois seulement. Ces deux jeunes Américaines ont fait une partie de leur carrière chez Microsoft, à Seattle et dans la Silicon Valley. « Je voulais changer de vie et travailler dans le développement international », raconte Amanda Arch. Il y a un an et demi, elle démissionne et voyage en Afrique de l’Est. « Je suis passée par Kigali, c’était assez facile de se projeter et de s’imaginer vivre ici. Les rues sont propres, les gens sont chaleureux, le climat agréable. » Avec son ancienne collègue, elles créent Kasha, une application qui permet aux femmes de se faire livrer à domicile les produits de santé dont elles ont besoin. « La place de la femme évolue à très grande vitesse. Mais il existe encore des barrières sociales. Avec notre appli, elles peuvent par exemple commander des contraceptifs discrètement. » Les deux jeunes femmes ont un moment hésité à s’installer au Kenya, un marché de plus de 40 millions de personnes, soit quatre fois plus gros. Mais le Rwanda l’a emporté : « On a senti un réel effort, de la part des autorités notamment, pour encourager l’entrepreneuriat et promouvoir le rôle des femmes », justifie Amanda Arch. Depuis, l’appli a remporté en décembre le titre de start-up la plus prometteuse d’Afrique, décerné par l’organisation suisse Seedstars.

À l’instar des deux jeunes femmes, de plus en plus de start-upeurs misent sur le Rwanda pour créer leur société, attirés par l’efficacité de l’administration. « En quelques heures, on a créé son entreprise, témoigne Yan Kwizera. Public et privé travaillent main dans la main, avec des intérêts communs. Et le pays constitue un bon marché test pour ceux qui visent tout le continent africain. » La position du pays est en effet stratégique, situé au carrefour des axes nord-sud et est-ouest du continent, entre de grands marchés, comme le Kenya, la RDC, voire l’Éthiopie plus au Nord, et, plus loin, l’Afrique du Sud. Le pays forme également un trait d’union entre l’Afrique francophone et l’Afrique anglophone. Jusqu’au génocide, la langue officielle était le français, en plus du kyniarwanda. Puis les mauvaises relations diplomatiques avec la France, dues au rôle de Paris durant le génocide, et la volonté de s’intégrer davantage au niveau international ont fait basculer le Rwanda vers le monde anglophone. Aujourd’hui, les jeunes étudient tous l’anglais à l’école. Et le même pragmatisme a prévalu, il y a quelques mois, quand le pays a adopté une quatrième langue officielle : le swahili de ses voisins kenyan, tanzanien et ougandais. Objectif : accélérer l’intégration à la communauté d’Afrique de l’Est, qui devrait à terme déboucher sur un véritable marché commun.

des livraisons par drone

Autre spécificité remarquable à l’échelle du continent : le très faible niveau de corruption. L’État a imposé des règles strictes. Ses représentants doivent rendre des comptes régulièrement et signent des contrats d’objectifs, les « imihigo ». S’ils ne sont pas atteints, ils peuvent être renvoyés. Surtout, le pays a adopté un« état d’esprit start-up », utilisant aussi souvent que possible la technologie pour résoudre les problèmes. Les accidents de motos, qui sillonnent les villes pour emmener les habitants d’un endroit à un autre, font de nombreuses victimes ? La société SafeMotos certifie les chauffeurs et permet de connaître le prix à l’avance. Le pays veut devenir l’une des premières économies du monde à se débarrasser du cash ? AC Group dématérialise le système de paiement dans les bus de Kigali et lance Tap & Go, une carte rechargeable. Le plus étonnant a lieu à Muhanga, à une heure et demie au sud-ouest de la capitale. Au milieu des collines, les habitants de cette zone semi-rurale se sont habitués, ces dernières semaines, au bourdonnement des drones qui survolent la région. Certains viennent encore admirer les engins, à travers le grillage de la « base », le premier « droneport » au monde, construit au milieu de nulle part.

Tout est parti des besoins en transfusion sanguine. Les hôpitaux n’ayant pas tous les moyens de stocker le sang, on a longtemps acheminé les poches par la route. Plus d’une heure de trajet, dans le meilleur des cas, parfois une demi-journée aller-retour : les délais pouvaient se révéler fatals… L’État a donc fait appel à Zipline, un fabricant californien de drones à vocation médicale ou humanitaire, avec une idée un peu folle : livrer par drone des poches de sang et, à terme des vaccins, des médicaments et du matériel d’urgence. Un contrat, signé l’an dernier, prévoit de déployer ce système de livraison à une vingtaine d’établissements dans tout le pays. Le premier test s’est fait à Kabgayi. Au début de l’année, les drones pilotés depuis leur base par les ingénieurs de Zipline ont commencé à circuler. Six minutes chrono entre la tour de contrôle du droneport et le service des urgences. Les poches, empaquetées dans des boîtes renforcées, sont larguées par parachute au-dessus de l’hôpital. À tout moment, le personnel médical peut suivre l’évolution de la livraison et communiquer avec Zipline, par téléphone, SMS, ou via un groupe WhatsApp. « Au total, entre le moment où le laboratoire passe la commande et celui où le sang peut être utilisé, il ne se passe pas plus de trente ou quarante-cinq minutes. Tout le monde est gagnant », souligne le directeur de l’hôpital. Après ces débuts prometteurs, va-t-on vers une extension de l’usage des drones ? « On peut imaginer énormément d’applications, par exemple dans le secteur de l’agriculture, mais pour l’instant nous restons focalisés sur la santé », répond Nicholas Hu, directeur des opérations de Zipline.

un fort engagement social

Les autorités privilégient maintenant la dématérialisation des services administratifs. « À l’origine, pour rendre la gouvernance plus efficace, nous avons imaginé une plate-forme unique, qui mettrait en ligne tous les services du gouvernement », relate Clément Uwajeneza, directeur général de Rwanda Online, qui a fait ses études d’ingénieur à Montpellier, avant de revenir au milieu des années 2000. La plate-forme Irembo a commencé par cinq services en ligne et devrait en proposer une centaine à partir de cet été. Plus de 5 000 personnes l’utilisent chaque jour. Et pour aider les Rwandais dans leurs démarches, 1 000 « agents » ont été formés – essentiellement des étudiants. Pour limiter le coût des investissements, Irembo veut désormais passer à une logique d’interface de programmation ouverte. « Nous allons mettre une partie de notre code source à disposition des développeurs, afin qu’ils imaginent et qu’ils construisent les services publics et administratifs en ligne de demain », expose Clément Uwajeneza. Cet « App Store » gouvernemental doit pouvoir répondre à tous les besoins des particuliers et des entreprises.

Tous ces projets galvanisent une nouvelle génération, soucieuse d’entreprendre et de créer. Ces entrepreneurs disposent de plus en plus de lieux, dans Kigali, pour échanger et apprendre. Comme le kLab (knowledge Laboratory), un espace de préincubation ouvert sept jours sur sept, 24 heures sur 24, où ils peuvent venir travailler et prendre conseil auprès de leurs pairs. Inauguré en 2012, il a contribué au lancement de 60 sociétés et plus de 50 000 personnes ont assisté à ses événements. « On essaie de diffuser la culture de l’entrepreneuriat, indique son jeune fondateur, Aphrodice Mutangana. On apprend aux start-upeurs à « pitcher », on leur donne un retour sur leurs idées, on favorise les rencontres et les échanges… » Le concept va essaimer dans d’autres villes, comme Butare au sud ou KIbuye à l’ouest, et attire désormais des entrepreneurs venus du Burundi, de Tanzanie, du Zimbabwe… Le « hub » va bientôt disposer de son propre fonds, pour financer les projets les plus prometteurs.

Avec une constante : un engagement social fort. Pour Aphrodice Mutangana, qui vient de créer un site pour récolter des fonds et aider les personnes âgées dont les familles ont disparu pendant le génocide, « tout le monde au Rwanda veut progresser et régler les problèmes ensemble ». Sentiment confirmé par Yan Kwizera : « L’un de nos défis, c’est l’inclusion sociale. Il ne faut laisser personne sur le bord de la transformation numérique. » Ainsi, l’un des autres « hubs » numériques de Kigali, The Office, ouvert par Jonathan Stever, un Texan arrivé il y a près de dix ans, tente de faire dialoguer des mondes différents. « Nous ne sommes pas cloisonnés, comme on peut l’être en Europe ou aux États-Unis. Pour nous, c’est important de réunir en un endroit des entrepreneurs, des artistes, les habitants du quartier, des enfants, des gens de l’administration, et que tout le monde se parle. L’innovation, ici, elle vient d’en bas. » Régulièrement, dans cet imposant bâtiment du centre-ville, où se côtoient start-upeurs, graffeurs et clients du café qui occupe la terrasse, sont organisés des projections de films, des ateliers de découverte du code ou de l’informatique, des discussions…

Former les femmes aussi

Autre exemple : l’Akilah Institute, créé lui aussi par une Américaine. Depuis sept ans, cet établissement privé a formé plus de 200 jeunes filles aux métiers de l’hôtellerie, à l’entrepreneuriat et au numérique. Pour plus des trois quarts, elles sont les premières de leur famille a obtenir un diplôme du supérieur. La plupart financent leurs études par des prêts, qu’elles rembourseront une fois leurs études terminées. Une partie des bénéfices générés par les entreprises créées par les étudiantes revient à l’institut et à la formation de nouvelles générations. « La formation et l’éducation des femmes sont des piliers essentiels pour le développement de notre pays, analyse Aline Kabanda, directrice d’Akilah Rwanda. Après le génocide de 1994, les femmes ont joué un rôle fondamental dans la reconstruction. En tant que mères et responsables de famille, mais aussi en tant que leaders des différentes communautés et des institutions. Il faut maintenant former la future génération de femmes leaders. »

L’éducation, c’est aussi la clé pour Crystal Rugege, une Américaine d’origine rwandaise qui dirige à Kigali les opérations de la Carnegie Mellon University, première université américaine à avoir misé sur le Rwanda, dès 2011. Ici, les étudiants suivent le même cursus et obtiennent exactement le même diplôme que ceux de Pittsburgh, berceau historique de la CMU. Crystal Rugege, ingénieure de formation, a passé l’essentiel de sa carrière dans la Silicon Valley, elle est arrivée dans le pays de son père au moment de l’ouverture du campus. « Ce qui a incité la CMU à venir ici, c’est le capital humain. Le pays investit sur les talents », explique-t-elle.

50 millions de dollars de valorisation

L’université envisage de se développer en intégrant la Kigali Innovation City. D’ici la fin de l’année, ce nouveau quartier, entièrement tourné vers les nouvelles technologies, sortira de terre à l’est de la ville. Outre la Carnegie Mellon University, il regroupera plusieurs universités, des laboratoires, des entreprises… Ce n’est pas le seul projet en cours. Le gouvernement veut former 5 000 ingénieurs par an, contre 2 000 aujourd’hui. Un fonds de 100 millions de dollars financé par l’État doit voir le jour pour aider les start-up, qu’elles soient rwandaises ou étrangères, à partir du moment où elles s’installent dans le pays. « Nous nous sommes lancé un défi : qu’à l’horizon 2025, une centaine d’entreprises, pas forcément rwandaises mais en tout cas nées au Rwanda, atteignent les 50 millions de dollars de valorisation », déclare le ministre Jean-Philbert Nsengimana. Avant de préciser : « Mais mon rêve, c’est de voir une licorne (une société valorisée au moins 1 milliard de dollars, NDLR), ici, d’ici dix ans. »

Restent plusieurs défis à relever. Celui des infrastructures tout d’abord, qui sont encore insuffisantes dans certaines régions reculées, notamment l’électricité. L’accès à Internet est encore trop souvent un luxe, le prix des données restant élevé. « On doit encore monter en compétence », souligne pour sa part Crystal Rugege. Le kLab devrait former, cette année, 150 000 enfants aux bases de la programmation, contre 1 200 en 2015 et 14 000 l’an dernier. Dans un monde ultraconcurrentiel, le Rwanda doit accélérer son autopromotion pour attirer encore plus de profils entrepreneuriaux. C’est le sens d’une loi, adoptée l’an dernier, qui exempte de visa tous les ressortissants africains. À moyen terme, pourrait en outre se poser la question d’une diminution de l’aide internationale, en particulier en provenance des États-Unis, dans un contexte de désengagement américain sous l’administration Trump. Il faudrait alors trouver des moyens de la compenser.

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Club 2030 Afrique, Think Tank crée en 2012, est une institution à but non lucratif dont la mission principale est de mettre ses compétences, son savoir et son énergie au service des organes de gouvernance africains afin de les accompagner dans le processus d’émergence qui mènera à un développement économique et social harmonieux à horizon 2030. Le club 2030 Afrique entend répondre aux besoins de réflexion et d’échange qui se font particulièrement sentir dans un contexte où les problématiques de bonne gouvernance financière, de croissance économique durable et de développement humain constituent des enjeux majeurs en vue d’un affermissement des tendances socio-économiques observées sur le continent africain.

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