En dix ans, le continent doit créer 122 millions de postes pour ses jeunes. Un défi de taille, mais pas inaccessible si les gouvernements misent sur la transformation du secteur informel et sur plusieurs gisements d’embauches.
De l’emploi, et vite ! Au sein de l’immense siège de l’Organisation internationale du travail (OIT), à Genève, il y avait au début du mois d’avril un air de déclaration de guerre contre le chômage. L’agence onusienne avait réuni plusieurs centaines de chercheurs, syndicalistes et patrons des quatre coins du monde pour réfléchir sur l’avenir du travail, la fin redoutée de la protection sociale et l’avènement des robots.
122 millions de postes à créer en Afrique
Un chiffre planait au-dessus de toutes les conjectures : 600 millions. C’est le nombre colossal d’emplois qu’il serait nécessaire de créer d’ici à dix ans – dont 122 millions en Afrique – pour absorber l’afflux de jeunes qui entreront sur le marché du travail.
Les chiffres concernant le continent ne souffrent d’aucune ambiguïté. Le Maghreb connaît un taux de chômage de 27 % en moyenne, qui atteint 40 % chez les jeunes femmes. Au sud du Sahara, où ce chiffre grimpe jusqu’à 50 %, le problème porte également sur la qualité des emplois, avec 40 % de travailleurs pauvres.
Les gouvernements africains affichent leur bonne volonté en organisant tous les deux ans une rencontre des ministres du Travail de l’Union africaine consacrée à l’emploi et au développement social. La dernière en date a eu lieu à Alger du 24 au 28 avril. Mais les faits sont têtus. Ainsi, la Guinée compte, pour une population active de 5 millions de personnes, « environ 100 000 postes dans le secteur public et 60 000 dans le privé », estime Mamadou Saliou Diallo.
« Certains diplômés optent pour l’émigration, mais la majorité se tourne vers l’informel et le système D »
Pour le secrétaire général de l’Organisation nationale des syndicats libres de Guinée (ONSLG), également présent à Genève, « si vous n’êtes pas proche du pouvoir, vous n’avez aucune chance ».
La situation n’est guère plus rose en Côte d’Ivoire, qui est pourtant la locomotive économique de l’Afrique de l’Ouest : le marché formel du travail, secteurs public et privé confondus, y offre moins d’un million d’emplois, quand la population active compte près de 9 millions de personnes et elle gonfle de 300 000 jeunes tous les ans. Ces dynamiques délétères laissent une part considérable des jeunes aux portes des entreprises. Certains diplômés optent pour l’émigration, mais la majorité se tourne vers l’informel et le système D.
Pourtant le chômage n’est pas une fatalité. Dans la deuxième édition du rapport Lions on the Move, paru en septembre 2016, le cabinet de conseil McKinsey tablait ainsi sur 6 à 14 millions de créations d’emplois en dix ans… si la formation et l’industrialisation suivent.
Des chefs d’entreprise et des économistes mettent en avant de véritables gisements d’emplois, notamment dans l’artisanat, les métiers techniques, ou s’appuyant sur les nouvelles technologies de la communication ou celles liées à l’environnement. Jeune Afrique a donc identifié les principaux secteurs créateurs d’emplois décents, du solaire au BTP en passant par la grande distribution. Et fait le point sur les méthodes qui marchent pour faire évoluer les emplois informels vers le secteur formel.
Emplois verts : un horizon dégagé
L’OIT estime que la transition écologique créera pas moins de 60 millions d’emplois d’ici à 2030 dans le monde. « Les effets d’une économie plus sobre en matière d’émission de gaz à effet de serre se feront sentir en Afrique comme ailleurs », estime le Sénégalais Moustapha Kamal Gueye, coordonnateur du programme des « emplois verts » de l’agence onusienne. Les exemples abondent déjà.
L’Ouganda connaît un véritable boom de l’agriculture biologique, avec des produits vendus à l’exportation (ananas) ou sur le marché local (banane plantain, millet, manioc…). La Zambie s’est lancée dans la construction d’un million de logements selon des normes environnementales plus exigeantes, s’appuyant sur des filières d’approvisionnement locales (bois, brique de terre comprimée…). Quant au programme sud-africain Working for Energy, il fait référence sur le continent.
Lancé en 2011, il vise à promouvoir la production d’énergies renouvelables à forte intensité de main-d’œuvre, par exemple avec la transformation des plantes invasives désherbées en combustible vert. Pretoria estime à quatre millions les possibilités d’emplois rémunérés générés depuis le lancement du programme, même si certains d’entre eux sont précaires.
Le Sénégal suit également cette voie. Mi-2016, Dakar a décidé d’injecter 3 milliards de francs CFA (environ 4,5 millions d’euros) pour soutenir la création de microentreprises vertes telles que des micro-unités de dessalement de l’eau de mer ou des bacs réfrigérés transportables par tricycle pour la revente des poissons sur les marchés. Le Sénégal espère ainsi créer 10 000 emplois (dont 4 000 directs et 6 000 indirects) d’ici à 2020, et 30 000 d’ici à 2035.
Les énergies renouvelables, un secteur prometteur
Dans ce contexte porteur pour les énergies renouvelables, la fabrication et la distribution de produits solaires sont particulièrement dynamiques. En mars, l’Africa Progress Panel, think tank présidé par Kofi Annan, estimait les ventes de lampes solaires à plus de 10 millions d’unités par an sur le continent.
Si le Kenya, l’Éthiopie et la Tanzanie sont pionniers sur ce créneau, les entreprises d’Afrique francophone s’y mettent à leur tour, comme la société sénégalaise Nadji Bi, active à Mbour depuis 2014. Si elle ne compte que 20 salariés, la distribution de ses produits solaires dans une dizaine de pays ouest-africains, via des commerçants, des groupements de femmes ou des sociétés de microcrédit, générerait plusieurs milliers d’emplois, mais le chiffre exact est difficile à estimer.
« Installateurs, vendeurs, représentants, menuisiers, tout un écosystème se développe », fait valoir Julien Potron, DG de la société. Même effet sur l’emploi chez Off Grid Electric. Cette entreprise californienne s’est associée au leader de l’énergie français, EDF, en novembre 2016 pour vendre des kits solaires en Côte d’Ivoire, où il vise 1,5 million de clients. Cinq ans après ses débuts en Tanzanie et aux Seychelles, en 2011, la société comptait déjà, selon Citibank, plusieurs centaines d’agents.
Jobs à la tâche : un eldorado controversé
Des particuliers équipés d’un ordinateur et payés à faire du traitement de texte, de la modération sur les réseaux sociaux ou du classement de factures pour le compte d’entreprises : c’est le principe de la gig economy (économie de la prestation), nouvelle forme d’offshoring par internet payé à la tâche.
En Afrique, ce mode de travail peut permettre d’améliorer ses revenus et d’avoir davantage d’autonomie, selon les résultats, présentés à Dakar en mars, d’une enquête conduite par les chercheurs du Gordon Institute of Business Science de l’université de Pretoria auprès de 500 de ces e-travailleurs, notamment au Kenya, au Nigeria et en Afrique du Sud.
En 2013, au moment d’ouvrir Naijacloud, un site de mise en relation entre employeurs et microsalariés numériques, le Nigeria avait même estimé que ce secteur pourrait représenter 450 à 900 millions de dollars par an.
Depuis six mois, Isahit, une société française, tente de reproduire ce modèle en commençant par l’Afrique francophone. Au Cameroun, des femmes vont travailler sur les marchés le matin puis passent l’après-midi à modérer les commentaires de sites internet. Au Togo et au Burkina, des étudiants arrondissent aussi leurs fins de mois de cette manière.
« Amazon, c’est de l’esclavage ! »
Le modèle d’Isahit est proche de celui d’Amazon Mechanical Turk, plateforme de microtravail du géant de l’e-commerce. Sauf que les niveaux de rémunération des 500 000 turkers d’Amazon sont vivement critiqués, avec parfois quelques cents de dollar seulement par tâche. « Amazon, c’est de l’esclavage ! » tance Isabelle Mashola, la cofondatrice d’Isahit, qui met en avant sa politique de rémunération. Son site paye 20 dollars (18 euros) par jour pour sept heures de travail, et entend recruter 10 000 personnes à Dakar, Abidjan, Ouagadougou, Pointe-Noire et Yaoundé.
Grande distribution : pléthore d’opportunités
Doucement mais sûrement, les supermarchés font leur trou. Ils sont déjà 37 en Afrique de l’Ouest, un nombre en hausse de 20 % en dix-huit mois, selon Sagaci Research, un cabinet de recherche économique spécialisé dans la grande distribution en Afrique. Carrefour, Casino, Shoprite, Nakumatt, Prosuma… Chaque ouverture donne lieu à son lot d’embauches.
« Au Kenya, ce sont 200 à 300 personnes par magasin avec un contrat en bonne et due forme », estime Julien Garcier, le fondateur de Sagaci Research. Et les retombées ne se limitent pas aux emplois directs.
En Côte d’Ivoire, le nouveau Carrefour d’Abidjan (à Marcory) a embauché 500 salariés pour gérer ses quelque 20 000 m2, mais il a aussi fait augmenter les effectifs des fournisseurs de l’enseigne, qui ont dû investir et se moderniser pour atteindre les niveaux de production et de qualité demandés.
Marie-José Neveu, chef de projet financement et filières agroalimentaires de la Fondation pour l’agriculture et la ruralité dans le monde (Farm), met en exergue le cas de Gédéon Logon, éleveur de bétail et producteur d’œufs installé à Jacqueville depuis vingt ans et devenu l’un des premiers fournisseurs du nouveau magasin.
« Cette démarche de structuration verticale d’une filière, sans intermédiaire du producteur jusqu’à la grande surface, Carrefour l’a reproduite au Kenya pour ses achats de poissons »
Pour cela, il a dû créer un abattoir et s’équiper d’un camion frigorifique grâce à un prêt de 600 000 euros accordé par un pool de banques locales et soutenu par Carrefour. Avec l’embauche de 20 salariés à la clé. « Cette démarche de structuration verticale d’une filière, sans intermédiaire du producteur jusqu’à la grande surface, Carrefour l’a reproduite au Kenya pour ses achats de poissons, observe Julien Garcier. Alors que les grossistes ne voulaient pas le livrer, le groupe a pris contact directement avec les pêcheurs pour que certains d’entre eux se structurent et deviennent ses fournisseurs en direct. »
L’impact positif sur l’emploi devrait s’accentuer dans les prochaines années puisque CFAO, le partenaire de Carrefour pour le développement de centres commerciaux africains, entend ouvrir d’autres supermarchés au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon, au Ghana, au Nigeria, au Sénégal, au Congo et en RD Congo. Et le sud-africain Shoprite multiplie les inaugurations, y compris dans des pays où la logistique est compliquée, tels que la RD Congo et Madagascar.
Emplois informels : des pistes pour les transformer
Les besoins africains en infrastructures sont colossaux – 100 milliards de dollars – et le continent est loin d’avoir rattrapé son retard. La construction de routes, de ports, de centrales électriques et de stations d’eau potable nécessite des milliers de travailleurs. Mais, dans de nombreux cas, les chantiers ne trouvent pas de plombiers, de maçons, de peintres, d’électriciens ou de mécaniciens.
« Quand Aliko Dangote construit une raffinerie au Nigeria, la main-d’œuvre vient de Chine », regrette Acha Lecke, le patron Afrique du cabinet McKinsey. Richbond, fabricant de meubles établi à Casablanca qui assure actuellement la réfection d’un palace d’Abidjan, ne parvient pas non plus à y trouver de bons artisans. Faute de menuisiers et de tapissiers assez compétents dans la capitale économique ivoirienne, le chantier est confié à des ouvriers marocains.
Pourtant, certains de ces savoir-faire courent les rues, dans le secteur informel, même si ces travailleurs n’ont pas toujours le meilleur niveau et n’ont pas de diplômes en bonne et due forme. Mais comment convertir ces employés informels au secteur formel ? « Pour eux, il faut imaginer des formes de certification et une valorisation du savoir-faire et des acquis », plaide Youssouf Maiga, un expert indépendant sur les questions d’emploi établi au Burkina.
Les formations techniques ou liées à l’artisanat sont malheureusement encore rares. Et, quand elles existent, leurs diplômés sont souvent mal accompagnés à la sortie. Dans les années 2000, la chambre de commerce de Dakar avait lancé un programme de formation et de professionnalisation, enrôlant un millier de teinturières, couturières, céréalières et électriciennes et les invitant à s’inscrire en fin de parcours au registre des métiers.
« Combien de personnes ont été intégrées de manière durable, et non pas sur un seul chantier »
Plus de dix ans plus tard, personne ne sait ce que ceux qui en ont bénéficié sont devenus. « Faire passer les emplois du BTP de l’informel au formel n’est pas une évidence. Combien de personnes ont été intégrées de manière durable, et non pas sur un seul chantier, pendant quelques semaines ou quelques mois ? », s’interroge de son côté Acha Leke, pour qui ces programmes doivent nécessairement être complétés par des formations à la gestion et à l’entrepreneuriat.
Une réponse intéressante au défi de l’informel est donnée par le Rwanda, où la mise en place de règles et de normes de travail passe par la multiplication des coopératives, qui intègrent des centaines de milliers de travailleurs indépendants. « Elles permettent des relations plus normales entre employeurs et salariés, avec une forme minimale de protection sociale, et génèrent des revenus supplémentaires ainsi qu’une meilleure régulation », estime Eric Manzi, le secrétaire général de la Centrale des syndicats des travailleurs du Rwanda (Cestrar). Les premières sont apparues dans la production de thé, puis d’autres sont nées dans les secteurs des taxis-motos, du café ou du riz.
Les applications mobiles, un outil de la transition ?
Les États pourraient aussi jouer un rôle décisif dans les mines, vis-à-vis des dizaines de milliers d’orpailleurs artisanaux qui travaillent dans des conditions souvent lamentables, en conditionnant la poursuite de leur activité au respect de règles de sécurité et environnementales.
Au Ghana, au Mozambique et au Burkina Faso, des périmètres d’excavation ont ainsi été réservés aux mineurs artisanaux, qui ont dû en contrepartie acquérir un matériel adéquat pour leur activité (motopompes, marteaux-piqueurs, broyeurs…), notamment grâce à l’appui d’organismes de microcrédit.
Dernière piste pour effectuer cette transition entre informel et formel : les applications mobiles. Ammin Youssouf, le fondateur d’Afrobytes, un incubateur parisien pour pépites africaines du numérique, y croit dur comme fer……
Article complet : http://www.jeuneafrique.com/mag/436222/economie/emploi-secteurs-recruter-afrique/