Les enjeux de l’état civil
En Afrique, malgré les efforts visant à promouvoir la déclaration universelle des naissances et la déclaration des décès, ces obligations demeurent un défi encore colossal. En effet, il n’y a que 40% des naissances et 60% des décès qui sont enregistrés. Or l’état civil, pour tout être humain, constitue son premier acte d’identification, qui va de la naissance à la mort. Il « reflète l’état d’un individu, c’est-à-dire sa situation personnelle dans sa famille et au sein de la société »[1]. C’est dire que la question de l’identification est fondamentale en ce qu’elle accompagne l’individu dans tous les actes de la vie. Il est possible de représenter l’acte de l’enregistrement à la naissance comme une pièce maîtresse de la vie d’un individu car elle est un premier cheminement vers la citoyenneté active et participative, qui fait de l’enfant d’aujourd’hui le citoyen de demain pleinement conscient de ses responsabilités et de ses devoirs et apte à apporter sa contribution à la construction de la nation. L’identification a donc une portée symbolique, elle permet à l’individu d’appartenir à une communauté et d’être accepté par cette même communauté. La mise en œuvre dans l’ensemble des pays de procédures d’identification individuelle uniformes, devant toucher la totalité des individus est un défi de taille.
La biométrie peut être un outil technologique utilisable pour soutenir les pays en développement. En effet, son emploi peut permettre d’apporter aux gouvernements un appui pour identifier sa population et son enregistrement.
L’histoire et la culture africaines témoignent d’une faible place donnée à l’écriture, au profit de la culture orale. Suite aux indépendances, les États ont du s’adapter et se conformer aux héritages laissés par la présence coloniale. L’existence d’un État est conditionnée, entre autre, par une population. Pour cela il faut pouvoir l’identifier, pour répondre à l’impératif d’avoir un état civil à jour.
Les populations africaines sont dispersées sur de vastes territoires, parfois isolés. Il faut pouvoir à la fois les informer et exiger d’eux qu’ils se rendent dans un lieu précis pour accomplir les formalités nécessaires. Néanmoins, la transmission de l’information n’est pas toujours évidente par la barrière de la langue. Le français ou l’anglais ne sont pas parlés ou compris par toutes les populations, en raison des langues ou dialectes locaux qui y sont préférés. De plus, il faut prendre en compte la « fiabilité inégale des officiers d’état civil, dont certains falsifient plus ou moins volontairement les registres »[2]. Dès lors, la question de la dématérialisation prend ici tout son sens, la conservation de l’acte électronique est plus sure et plus efficiente. Le recours à la biométrie permettra de répondre aux nombreuses problématiques et fera avancer les pays africains vers l’unité.
Les périodes électorales sont de véritables aubaines pour l’emploi de la biométrie, qui connaît une forte demande, par les pays africains. La biométrie est représentative d’une nouvelle phase de la modernité, caractérisée par la fluidité, la dématérialisation et la miniaturisation.
L’identification est une pratique ancienne qui existe depuis la constitution des groupements humains. La biométrie est en passe de devenir l’élément clé d’un système d’identification et de surveillance qui se met en place au niveau mondial. L’État cherche à restaurer son monopole sur l’identification des personnes et sur la surveillance des mouvements en recourant aux technologies biométriques. Cet impératif est consubstantiel de son existence. L’État moderne résulte d’une triple procédure : la protection et le contrôle des frontières, la gestion de la mobilité des populations par l’établissement des passeports internes et externes et enfin la reconnaissance des individus (carte d’identité, centralisation, acte de naissance etc). Il n’y a plus de reconnaissance par les interactions relationnelles mais à travers des techniques d’identifications indirectes. Cependant, les individus sont devenus mouvants comme leurs identités. Il est devenu facile de se faire une nouvelle identité, changer de sexe ou de nom. En conséquence, pour tracer l’individu, on a recours aux techniques biométriques considérées comme les outils scientifiques les plus efficaces pour authentifier et identifier les personnes avec certitude. Cet outil peut alors participer à l’instauration de la démocratie.
Ainsi, le recours à des techniques d’identification et de surveillance, comme le système biométrique, permet de repenser l’État à partir de la segmentation territoriale et de la virtualisation de ses fonctions d’identification et de surveillance. De sorte que le régime de l’identification fait appel à des logiques de contrôle social, d’établissement de liens d’allégeance, de régulation de la vie (l’état civil) jusqu’au contrôle de mobilité et des frontières. Un tel régime a acquis un caractère politique et territorialisé avec la formation de l’État moderne. De plus, lorsque l’individu décide de rentrer dans ce monde virtuel offert par la biométrisation des contrôles, il n’a plus la capacité de le quitter. L’inscription des empreintes biométriques dans des bases de données pouvant être nationale, ou transnationale, fait entrer l’individu dans un monde virtuel de contrôles indépendants de lui.
La biométrie apparaît alors comme un formidable outil de contrôle, pouvant stabiliser ou déstabiliser une situation politique, être employé pour lutter contre un certain nombre de maux touchant la bonne conduite de l’État. Pour aller encore plus loin, une illustration est donnée par les organisations régionales en Afrique qui misent également sur la biométrie, afin de renforcer leurs liens économiques et politiques. Elles veulent ainsi, renforcer l’identification des administrés pour optimiser et accélérer la gestion administrative et citoyenne. Dans un souci d’intégration régionale, les ministres de l’intérieur de l’espace de la CEDEAO ont examiné puis adopté un double projet, celui d’abolir le permis de résidence et de mettre en circulation une carte nationale d’identité biométrique. Cette carte doit être distribuée aux 320 millions d’habitants de l’espace communautaire. L’objectif majeur de ce projet est de faciliter la libre circulation des citoyens tout en assurant et garantissant la sécurité et la protection de cet espace contre l’exploitation et les crimes transnationaux. L’emploi de la technologie d’identification biométrique peut donc être un facteur de promotion d’un processus d’intégration régionale en Afrique. Les pays dépassent le simple lien économique en se partageant des technologies pour obtenir une dynamique et une vision commune sur la gestion de leur population, et ainsi libéraliser les échanges.
[1] ANDRE Michèle, État civil et démocratie, Projet de rapport de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, Abidjan, 10-11 juillet 2013, 18 p.
[2] ANDRE Michèle, État civil et démocratie, Projet de rapport de l’Assemblée Parlementaire de la Francophonie, Abidjan, 10-11 juillet 2013, p. 7