La Cour Commune de Justice et d’Arbitrage veille à la bonne application et à une interprétation commune par les juges du fond de l’espace OHADA d’un même droit substantiel communautaire. La CCJA est donc compétente pour toutes les questions relatives à l’application des Actes Uniformes et des Règlements, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. A cette exception, l’arrêt du 28 avril 2016 ajoute une nouvelle exclusion de la compétence d’attribution de la CCJA, à savoir le droit du travail. Cette dernière exclusion peut faire l’objet de discussion et d’évolution.
Dans l’arrêt du 28 avril 2016 (3e ch, n°083/2016, Société Fûts Métalliques de l’Ouest Africain (FUMOA) c/ Monsieur Sultanali ESMAIL), la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (ci-après la « CCJA » ou la « Cour ») confirme qu’elle peut uniquement se prononcer « sur les décisions rendues en dernier ressort par les juridictions d’appel des Etats parties dans toutes les affaires soulevant des questions relatives à l’application des Actes uniformes et des Règlements prévus au Traité, à l’exception des décisions appliquant des sanctions pénales. »
Par cet attendu, la CCJA rappelle et confirme sa compétence matérielle, qui est limitée aux affaires qui relèvent de l’application des Actes Uniformes[1] et des Règlements[2], dont les enjeux et perspectives sont importantes pour les Etats parties, mais aussi pour les praticiens du droit OHADA.
Ainsi, le domaine de compétence de la CCJA soulève en filigrane la question de la souveraineté des Etats parties, qui ont intérêt à faire échapper certaines questions ou matières de la compétence de la Cour, afin de conserver leur souveraineté. C’est le cas des décisions à caractère pénale et du droit du travail (soulevé par l’arrêt du 28 avril 2016) qui sont exclus de la compétence de la Cour.
L’exclusion des décisions à caractère pénale peut s’expliquer notamment par l’abandon, par l’OHADA, du pouvoir de fixation des peines à ses Etats-membres. En effet, en application de l’article 5 du Traité, les Etats parties s’engagent à déterminer les sanctions pénales encourues par les contrevenants à la norme communautaire, les incriminations étant cependant prévues par le législateur OHADA. Ce choix du législateur communautaire se justifie d’autant plus que le droit pénal est l’un des domaines dans lesquels les Etats sont particulièrement attachés à leur souveraineté.
S’agissant du droit du travail, cette matière ne faisant pas l’objet d’un Acte Uniforme, c’est le droit national qui s’applique, et dans l’arrêt en cause le code du travail du Sénégal ; ce qui justifie la compétence de la juridiction nationale et non celle de la CCJA. Ainsi, la décision de la Cour ne peut que conforter la position des Etats parties, et éviter tout doute s’il y en avait encore.
Néanmoins, en ce qui concerne le droit du travail, la situation peut évoluer, ainsi que la position de la Cour. En effet, l’article 1er du traité stipule « qu’entrent dans le domaine du droit des affaires l’ensemble des règles relatives [..] au droit du travail ». Même si l’uniformisation du droit du travail reste un travail difficile et compliqué à mettre en œuvre, certaines questions du droit du travail sont déjà légiférées par les Actes Uniformes adoptés, qui contiennent des dispositions sur : la procédure de licenciement pour motif économique en cas de règlement préventif, de redressement judiciaire et de liquidation des biens ; le paiement des salaires des travailleurs lorsqu’une telle procédure est ouverte ; le rang du privilège des salaires des travailleurs.
Ainsi, l’exclusion totale du droit du travail de la compétence de la CCJA ne nous semble pas justifiée. Les matières sociales légiférées par les Actes Uniformes pourraient bien relever de la compétence de la Cour puisqu’elles touchent l’application des Actes Uniformes en question.
Enfin, l’uniformisation du droit du travail tant souhaité pourrait, dans un futur proche, devenir concret. En effet, un avant-projet d’acte uniforme relatif au droit du travail a été élaboré à Douala au Cameroun, le 24 novembre 2006, mais n’a pas encore été adopté. Un certain nombre d’auteurs et de praticiens appel de leur vœux l’adoption de cet acte, « qui permettrait d’imposer aux Tribunaux et aux justiciables sur le territoire des Etats parties des règles intangibles, et donc une prévisibilité des risques juridiques »[3]. L’adoption de l’Acte Uniforme sur le Droit du Travail ne pourra que renforcer l’application des règles au niveau de l’espace OHADA, et renforcer la compétence de la CCJA.
[1] Il y a, à ce jour, dix Actes Uniformes : l’Acte uniforme relatif au droit commercial général, le nouvel Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, le nouvel Acte uniforme portant organisation des sûretés, l’Acte uniforme portant organisation des procédures simplifiées de recouvrement et des voies d’exécution, l’Acte uniforme portant organisation des procédures collectives d’apurement du passif, l’Acte uniforme relatif au droit de l’arbitrage, l’Acte uniforme relatif aux contrats de transport de marchandises par route, l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés coopératives, et le dernier en date l’Acte Uniforme relatif au droit comptable et à l’information financière.
[2] Cinq règlements ont été adoptés à ce jour : le Règlement de procédure de la CCJA, le Règlement d’arbitrage de la CCJA, le Règlement financier des institutions de l’OHADA, les Règlements portant le statut des fonctionnaires et le régime applicable au personnel.
[3] Patrice Reis, Le droit du travail dans le droit de l’OHADA (organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires), Revue de l’ERSUMA, 2012, p 1