Il faut avoir vécu le chaos de Copenhague pour mesurer le pas qui a été franchi, samedi 12 décembre, à Paris, avec la signature du premier accord universel sur le climat. Les Africains, mieux que quiconque, peuvent l’apprécier. Six ans après l’échec de la conférence danoise au cours de laquelle ils avaient été traités par le plus grand mépris, ils n’obtiennent pas tout ce qu’ils étaient venus chercher mais repartent avec le sentiment d’avoir, cette fois-ci, été écoutés. Et, sur certains points essentiels pour eux, d’avoir été entendus. Comme l’a résumé Edna Molewa, la ministre de l’environnement sud-africaine : « Cet accord n’est pas parfait, mais il est équilibré et il est le meilleur que nous puissions obtenir à ce moment précis de l’Histoire. »
Au crédit de la COP21 de Paris, il faudra ainsi acter le soutien à l’Initiative africaine sur les énergies renouvelables. Les pays du G7, les plus industrialisés, se sont engagés à verser 10,2 milliards de dollars (9,3 milliards d’euros) d’ici à 2020 pour financer la première étape de ce plan qui doit permettre d’améliorer l’accès à l’électricité sur un continent où trois habitants sur quatre en demeurent privés. C’est autant que ce que le Fonds vert pour le climat, lancé à Copenhague pour mobiliser l’appui financier du Nord en faveur des pays en développement, est parvenu àcapitaliser jusqu’à présent.
Objectif 1,5 °C
La question de l’adaptation au changement climatique, cruciale pour les pays les plus vulnérables, trouve sa place dans l’accord de Paris. Le principe d’un « objectif global » au même titre qu’il existe des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, est inscrit dans le texte, qui appelle à un rééquilibrage des financements en faveur des politiques d’adaptation. Actuellement, seuls 16 % des financements climatiques versés par les donateurs publics et les banques multilatérales de développement y sont consacrés, selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).
L’Afrique, dont les besoins pour faire face à la dégradation de son environnement et aux catastrophes naturelles plus fréquentes sont évalués entre 7 et 15 milliards de dollars par an, reçoit moins de 3 milliards de dollars. Les Africains ont bataillé pour qu’un doublement des financements climatiques en faveur de l’adaptation soit atteint d’ici cinq ans. Sans succès. Mais ils sont parvenus à mobiliser les bailleurs pour que soit relancé leprojet de Grande Muraille verte qui doit permettre de lutter contre la désertification en revégétalisant de vastes superficies du Sahel, de laMauritanie à Djibouti. La mise en valeur du fleuve Niger et la restauration du lac Tchad vont aussi bénéficier de moyens supplémentaires.
Etre parvenu à maintenir dans l’accord final la référence à un objectif de limitation des températures moyennes à 1,5 °C d’ici la fin du siècle est aussi une victoire importante. C’était l’une des revendications principales des pays africains. Avec les petits Etats insulaires, ils considèrent que l’objectif de 2 °C, qui constitue la cible actuelle, ne garantit pas leur sécurité. Les scientifiques du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) devront rédiger pour 2018 un rapport qui évaluera l’impact d’un réchauffement de 1,5 °C et ses conséquences sur les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre. Le débat va donc se poursuivre en s’appuyant sur les données de la science.
En se préparant pour le rendez-vous de Paris, les Africains ont montré qu’ils étaient prêts à se tourner vers un autre modèle de développement, moins polluant. Tous, à l’exception de la Libye, ont rédigé une « contribution » dans cet esprit, en se projetant dans un avenir où les énergies renouvelables prendront une place prédominante. Pour contenir le réchauffement, l’adhésion de l’Afrique, dont la population doublera dans les trente ans à venir, est indispensable. Alors même que les pays industrialisés sont loin d’avoir pris leur juste part du fardeau dans la résolution de la crise climatique, le continent le plus pauvre montre l’exemple, à l’instar de l’Ethiopie, qui ambitionne d’être un pays « zéro carbone » à l’horizon 2030.
Diplomates de talent et sens du compromis
Le processus de négociations qui vient d’aboutir avait été lancé à Durban en 2011. L’Afrique du Sud n’a pas seulement donné un nom à un processus, elle a aussi transmis son art du dialogue à travers l’indaba, qui s’est avérée fort utile aux moments les plus tendus des discussions. Parlant pour les quelque 130 pays réunis au sein du G77, ses ministres et négociatrices – toutes des femmes – ont forcé le respect des autres délégations. Le géant du continent n’est pas seul à disposer de diplomates de talent capables dedéfendre ses intérêts. Que ce soit à la tête du groupe Afrique ou de celui des Pays les moins avancés (PMA), on aura l’occasion de voir au cours des prochains mois le nouveau visage des élites africaines.
L’adhésion de l’Afrique à l’accord de Paris se fait sans naïveté. Le compromis trouvé à 195 pays offre un cap, un cadre qu’il va falloirmaintenant remplir de chiffres et d’actes pour que le 12 décembre 2015 ne demeure pas un moment de joie sans lendemain. Les engagements concrets, loin d’être suffisants, conduisent vers une hausse moyenne des températures de 3 °C. Et davantage pour les pays situés dans la ceinture tropicale. Mais après six ans de doutes, le monde et l’Afrique avaient besoin de retrouver espoir. C’est ce qui a guidé son sens du compromis. Comme Edna Molewa, les Africains savent que « Paris n’est qu’un premier pas dans un long voyage ».