Pas plus de 4% !….c’est à ce niveau que le taux de bancarisation est évalué aujourd’hui en République Démocratique du Congo. En dépit de ses immenses richesses minières, forestières, pétrolières et hydroélectriques, la RDC fait incontestablement partie des pays les moins bancarisés d’Afrique subsaharienne où la moyenne se situe plutôt entre 10% et 12%, et même de la planète.
Même si l’apparition de la première banque en RDC remonte à de nombreuses décennies, avec la création de la Banque Commerciale du Congo en 1909, plus de 95% des congolais ne possèdent toujours pas de comptes bancaires et thésaurisent, en gardant leurs économies « sous le matelas ». Bien évidemment, les incidences négatives pour l’économie locale ne manquent pas. A titre d’exemple, le montant global des crédits bancaires accordés à l’économie congolaise représente à peine 6% du produit intérieur brut, soit trois fois moins que la moyenne subsaharienne.
Comment en est-on arrivé là ?
Plusieurs raisons exogènes peuvent expliquer cette sous bancarisation :
• En premier lieu, la jeunesse de la population congolaise doit être invoquée. Faute de recensement scientifique depuis 1984, aucun chiffre officiel ne peut être communiqué sur le sujet. Néanmoins, selon certaines estimations, près de sept congolais sur dix auraient moins de 25 ans et 45% moins de 16 ans.
• En Second lieu, le niveau d’éducation au Congo-Kinshasa reste très préoccupant. Le taux d’analphabétisme, compris entre 25% et 30% selon l’UNESCO, fait obstacle à une compréhension et une utilisation cohérentes des services d’une banque généraliste.
• Enfin, le niveau de vie de la population congolaise constitue clairement un frein à l’inclusion financière. Selon la Banque mondiale et le PNUD, près de 88% de la population au Congo vivrait encore en dessous du seuil de pauvreté universel (soit 1,25 $ par jour). Par ailleurs, l’indice de développement humain de la RDC, évalué sur des critères de santé, de revenu et d’éducation, était encore le plus faible de la planète (avec le Niger) en 2013. Dans ce contexte, on peut comprendre aisément que l’immense majorité des congolais ait pour priorité la survie quotidienne plutôt que l’ouverture et la gestion d’un compte en banque.
Où en sommes-nous à date ?
Depuis le début des années 2000 et la fin des principaux conflits militaires au Congo, quelques signaux positifs ont néanmoins été observés :
• Le nombre de banques implantées localement est passé de moins de dix à près de vingt-cinq. La stabilisation du cadre macro-économique enregistrée depuis 2010 (taux de croissance supérieur à 6%, taux d’inflation se maintenant à moins de 5% et taux de change quasi constant) a suscité l’intérêt des investisseurs et des opérateurs étrangers.
• Le nombre de guichets bancaires a été multiplié par cinq. En dépit de cette progression, la densité bancaire en RD Congo reste très nettement inférieure à celle des pays limitrophes (1 guichet pour 200 000 habitants contre 1 guichet pour 65 000 habitants en moyenne en CEMAC).
• Le nombre de comptes bancaires a explosé et est passé, en l’espace d’une quinzaine d’années, de moins de 50 000 à plus de deux millions.
• En termes de total du bilan, le taux de croissance du secteur peut être évalué à plus de 25% par an.
La monétique se répand notamment avec l’apparition du premier distributeur automatique de billets à Kinshasa en Juin 2006 et la mise en circulation des cartes de retrait et de paiement
Vers quelles solutions s’engager pour booster le taux de bancarisation ?
1. Au niveau des banques
Le secteur bancaire d’un pays repose avant tout sur la confiance réciproque entre les différents acteurs économiques (particuliers, PME-PMI …) et les banques. A date, ce lien de confiance est totalement rompu…Comment le rétablir ?
• Adapter la tarification au niveau de vie de la population
Le manque flagrant d’infrastructures publiques fiables (sécurité, raccordement électrique, etc…) rend la gestion du « retail banking » très onéreuse et complexe en RD Congo. L’importance des coûts d’exploitation correspondant peut expliquer le niveau totalement inadapté de la tarification des établissements bancaires. Ainsi, des frais de tenue de compte, des minima élevés sur virements sortants, ainsi que des frais relatifs aux mouvements entrants sont ponctionnés régulièrement sur les comptes de la clientèle.
Néanmoins, les profits générés par les banques en RD Congo sont souvent impressionnants….Certains établissements dégagent une rentabilité des fonds propres qui dépasse 15% ou même 20%. Pour comparaison, le ROE moyen des banques en France se situe entre 8 et 10% à date. Le choix semble donc d’avoir été fait de dégager des marges importantes sur un faible nombre de clients…..peut-être serait- il temps de songer à faire l’inverse à l’instar des opérateurs télécoms….
• Aller davantage vers la population en termes de communication et de relation client
Alors que l’immense majorité des congolais ne maîtrise pas les produits et les services financiers, les modules de formation on-line des banques restent très insuffisants, voire inexistants. Par ailleurs, la communication des banques manque très souvent de transparence, en particulier en termes de tarification. Ainsi, sur les cinq premières banques de RDC, selon des critères de total du bilan, plus de la moitié n’affiche pas clairement les prix de leurs services. Enfin, l’absence de réponse aux emails, les délais d’attente interminables aux guichets et les réponses erronées communiquées, par téléphone ou en face à face, sont hélas le quotidien des services clients des banques.
Il paraît donc urgent de faire émerger un nouveau modèle de banque qui permettra à la clientèle d’accéder à une information financière, aussi complète que précise, et de réaliser ses transactions bancaires de manière quasi instantanée, sans avoir à se déplacer soit accessoirement en évitant les problèmes de transport et de déplacement rencontrés tant en milieu urbain que rural. L’accompagnement commercial du client doit donc devenir une priorité.
2. Au niveau des pouvoirs publics
• Inculquer une culture financière au sein de la population
Avec un taux de mobilisation de l’épargne inférieur à 15% et plus de 80% de la masse monétaire qui ne transite pas par les banques, il semble assez cohérent que « l’éducation financière » de la population soit encore embryonnaire….compte tenu du retard accumulé et surtout de l’ampleur du chantier, il nous semble pertinent d’impliquer l’éducation nationale et de transmettre les bases de la culture bancaire dès la scolarisation des individus.
• Créer un fonds de garantie des dépôts.
Un tel système a été lancé officiellement en zone CEMAC en Février 2011. Il permet de garantir le remboursement et la restitution des fonds déposés, à concurrence de cinq millions de francs CFA, en cas de défaillance de la banque. Malheureusement, son équivalent n’a pas été instauré en RD Congo et ceci n’est pas de nature à rassurer une population pourtant échaudée par la demi-douzaine de faillites bancaires enregistrées entre 2002 et 2007. Ainsi, la liquidation de la banque congolaise, placée sous tutelle de la banque centrale dès 2010 et pour laquelle épargnants et salariés n’ont toujours pas recouvré leurs droits est encore dans toutes les têtes…..
• Etendre la bancarisation de la paie des fonctionnaires au secteur privé.
Le gouvernement congolais a décidé de rompre définitivement avec la pratique qui consistait à verser le salaire des fonctionnaires de la « main à la main », par l’intermédiaire d’un comptable publique. Ainsi, un processus de bancarisation a démarré en Juillet 2011 et a imposé à plus de 700 000 fonctionnaires de procéder à une ouverture de compte et de recevoir leurs salaires par virement bancaire.
Malgré certains « couacs » organisationnels, la bancarisation au sein de la fonction publique a été, globalement, un succès puisqu’elle a permis de détecter plusieurs milliers (et peut-être davantage ….) de faux fonctionnaires et surtout de garantir, aux véritables agents de l’état, un paiement équitable et sans retard de leurs modestes traitements. Cette obligation pourrait être étendue au secteur privé et contraindre certaines entreprises locales à payer leurs salariés par virement ou chèque bancaire, selon des modalités et des conditions à définir.
Alors que la Banque centrale de RDC vient d’annoncer une croissance économique de 8,9 % pour l’année 2014, l’avenir du pays semble s’éclaircir ! Certes, cette croissance économique robuste n’est pas encore inclusive. Seul un secteur bancaire local solide, crédible et résolument tourné vers la bancarisation des populations et le financement des PME-PMI, permettra à une grande majorité de congolais de s’extraire de la pauvreté.